Régis Debray nous parle de fraternité

Invité ce matin au 7/10 de Nicolas Demorand, Régis Debray nous a parlé de Fraternité. Ce fut un vrai bonheur de l’écouter. L’économie ne suffit pas à faire une société heureuse, il faut autre chose. Régis Debray nous propose de réhabiliter la fraternité, notion ces temps-ci oubliée, délaissée, ringardisée, alors qu’elle est la 3ème marche des « trois marches du perron suprême », comme le disait Victor Hugo.

Régis Debray – France Inter le 27 févier 2009

La fraternité ne relève pas des bons sentiments, c’est une notion exigeante, combative et subversive, voire assez âpre. C’est « combattez ensemble ! » plutôt que « aimez-vous les uns les autres ! ». « Ça sent plutôt la poudre que l’eau de rose. ».

En effet, la fraternité est née à la Révolution avec les Sans-culottes, puis en 1848 sur les barricades, pour renaître pendant la Résistance. La fraternité, ça ne se décrète pas, ça s’éprouve. Ceux qui ont connu la fraternité sont  ceux qui ont connu des situations de détresse, d’affrontement, de confrontation, de solitude et qui ont eu besoin de se serrer les coudes parce qu’il fallait survivre et qu’on ne peut pas survivre dans l’égoïsme .

Et ce qui nous unit nous dépasse. Il y a une dimension religieuse et morale dans cette transcendance qui fait naître la fraternité (« frère en Christ » dit Saint Paul).

La fraternité, c’est l’art de faire une famille avec ceux qui ne sont pas de sa famille. C’est aussi la définition de la politique : l’art d’échapper à la génétique, l’art de remplacer ce qui est de l’ordre de l’ethnie par l’électif, ce qui est de l’ordre du destin par du volontaire, c’est une communauté de destin voulue, assumée.

Régis Debray est effaré que certains cherchent à remplacer fraternité par diversité ; dans diversité il y a divorce, divergence, discorde. Or la politique républicaine consiste à faire converger par le haut tout ce qui diverge vers le bas. Transcender les divergences de fait dans un projet commun autour d’un idéal partagé. Et si ce concept ne trouve pas sa place dans l’espace politique, la politique n’a plus sa place.

Régis Debray, faisant référence à la Guadeloupe, dont la révolte populaire est une illustration éclairante de fraternité, rappelle le discours de Aimé Césaire, que les politiques devraient lire de plus près : « Il y a deux manière de se perdre : par la ségrégation quand on se mure dans le particulier et par dilution dans l’universel quand on s’adonne à l’humanisme formel et froid, froid comme le droit. » Il faut sortir de l’alternative entre un universalisme abstrait et un repli sur sa tribu. Il faut savoir marier identité culturelle et identité politique, trouver une forme d’enracinement dans un lieu. Quand le « nous français » devient une abstraction, quand le « nous européen » reste une utopie bureaucratique et n’arrive pas à mobiliser les affects, à mobiliser les cœurs, chacun se replie sur cette petite appartenance qui consiste à partager un absent, une mémoire, une complicité,…

Plus on vit dans l’uniforme, plus on a besoin de lieux identitaires, de se sentir entre soi. Si la République ne comble plus cette soif d’appartenance, cela peut devenir une soif de région (faisant référence à la réaction des gens de Picardie craignant de perdre « leur région » suite aux recommandations du rapport Balladur sur la réforme institutionnelle des régions et des départements).

 

Ces paroles ont un retentissement intense en cette période de crise où nous allons devoir justement nous serrer les coudes, pour ne pas laisser au bord de la route des milliers, des millions de personnes souffrant des conséquences de cette crise, aussi pour que l’espèce humaine survive face au défi du réchauffement climatique et du rationnement de l’eau, de l’énergie, des ressources sur une planète en croissance démographique.

Ces paroles ont un écho particulier en ces temps de révolte et de souffrance dans les Antilles françaises. Pour Régis Debray l’exemple actuel de mouvement de fraternité est la situation en Guadeloupe.

Ces paroles sont aussi un avertissement ultime sur la nécessité de l’Europe, d’une Europe fraternelle qui doit unir les peuples sur un projet commun qui les transcendent pour justement les sauver du péril de l’affaiblissement des Nations lorsqu’elles jouent le chacun pour soi.

Il faut lire « le moment fraternité » de Régis Debray, qui vient de paraître chez Gallimard, et surtout le mettre en pratique !

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