« La Révolution Humaniste », par Marie-Anne Kraft, préface de François Bayrou

Je viens de publier un essai intitulé « La révolution humaniste » aux éditions Salvator, traitant du modèle de société, fruit de réflexions déjà entamées avant la dernière crise qui nous touche de plein fouet : crise financière, crise économique, crise de l’Europe, crise sociale, crise morale et aussi écologique.

Ce livre présente un diagnostic des dysfonctionnements de nos sociétés sous des angles d’analyse multiples en mettant en perspective les visions économique, sociologique, philosophique, psychologique, anthropologique, en faisant référence à de nombreux auteurs et penseurs qui ont contribué à faire avancer la compréhension du monde et de l’homme, de l’antiquité aux contemporains.

Une des principales conclusions du livre, que je vous laisse découvrir sans tout dévoiler par avance, est que la plupart de nos maux proviennent d’une perversion, une sorte de maladie mentale, d’un attachement à l’argent comme valeur centrale. La « révolution humaniste » que j’appelle de mes voeux consiste à changer l’axe central de la société, en remettant l’homme au centre à la place de l’argent. C’est une révolution pacifique, copernicienne et non violente, qui fait appel à une transformation profonde de nos comportements, de notre vision individuelle de l’autre et du bien commun, du sens donné à notre vie, comme également de la manière dont la société fonctionne, est gouvernée dans la mondialisation. J’y propose des pistes concrètes, une méthode, pour y arriver progressivement et en agissant d’urgence

J’espère par ce livre apporter un éclairage pédagogique et ouvrir le débat avec vous, avec les élus, avec surtout les citoyens, acteurs de la vie civile et associative, entrepreneurs, partenaires sociaux, engagés ou non politiquement, avec tous ceux qui s’interrogent et souhaitent construire un monde plus humain.

Précisons que même si le livre est préfacé par François Bayrou, ce qui m’honore infiniment, il n’est pas partisan, ne milite aucunement pour un parti, d’ailleurs des sensibilités de gauche comme de droite en passant par le centre pourront y trouver probablement inspiration et convergence de points de vue comme une ouverture sur des visions nouvelles et différentes, sur des sujets profonds de société, transcendant les positionnements politiciens.

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Rapport Odissée sur l’état social de la France : le lien social est un facteur de performance.

L’association Odissée vient de publier le rapport sur «l’état social de la France», (voir  cet article de LaCroix ).

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Ce rapport montre qu’il n’y a pas de véritable performance économique sans cohésion sociale.


En résumé :

– En matière de performance globale – économique et sociale-, la France ne se classe qu’au 8e rang des 27 pays européens ;

– On peut avoir un fort niveau de protection sociale et un faible niveau de lien social, ce qui est le cas de la France (ce qui ne m’étonne pas car il peut y avoir déresponsabilisation par délégation du social à l’Etat, renforçant le comportement individualiste) ; » L’État impulse tout et il y a une démission du citoyen ».

la situation est très contrastée selon les territoires, les régions de France. Par ex l’Ile de France est au 1er rand en terme de performance et 20ème en termes de lien social. Explications intéressantes et comparaison avec les régions qui réussissent le mieux (Pays de Loire, Bretagne, Midi-Pyrénées, Alsace, Rhône-Alpes).

Enfin, cette étude est une véritable leçon de politique : alors que la droite priorise la performance économique et la gauche la solidarité, le lien social, le vivre-ensemble, selon un clivage libéralisme/socialisme, cette étude révèle que les deux sont très liés. La conscience et la responsabilité citoyenne et la valorisation de l’être et de la relation humaine, plutôt que celle de l’avoir et du paraître, sont essentielles pour arriver à des efforts communs et à un consensus priorisant l’intérêt général, redonner l’impulsion à la création, à l’inspiration, que ce soit dans le domaine de la recherche, de l’entreprise, des arts et de la culture. Pour y arriver, il faut repenser « le sens de notre société », de notre vivre-ensemble », en partant des valeurs. Le délégué général de l’association, Jean-François Chantaraud nous propose d’inventer la « sémiocratie », allant au-delà de la démocratie. « Il faut organiser une circulation et une mutualisation de l’information afin que chaque idée, chaque expérience, chaque savoir-faire et chaque énergie trouve la place qu’il mérite au profit de tous ». « Apprendre à bâtir des raisonnement collectifs dans lesquels chacun de reconnaît ».

Cette nouvelle forme de penser la société, de réfléchir ensemble pour construire un projet de société au service de l’homme, du développement humain, cela s’appelle l’humanisme. Cette troisième voie, différente du libéralisme incarné par la droite, fondé sur l’argent, le profit, et aussi différente du socialisme, incarné par la gauche, dont l’Etat a un rôle central tout en ciblant l’égalité. C’est cet humanisme qui caractérise le projet de société du centre, sortant de l’habituel clivage droite/gauche. Un centre qu’il ne faut pas voir superficiellement comme un ectoplasme volatil supplétif de la droite ou de la gauche, mais plus profondément sur les valeurs qu’il incarne et le nouveau projet qu’il propose. A condition d’être indépendant, de bien marquer sa différence et d’exprimer son projet, à condition d’être écouté plutôt que l’objet de dénigrement et de moqueries des médias, oui ce centre là peut devenir un socle offrant une alternative crédible et redonnant l’espoir.

Quelques extraits ci-dessous, repris des articles du journal LaCroix, en référence :

http://www.intelligencesociale.org/ressources/documents/20101220_LaCroix-Une.pdf
http://www.intelligencesociale.org/ressources/documents/20101220_LaCroix-Page2.pdf
http://odissee.info/ressources/documents/20101220_LaCroixpage3-1.pdf

Ce rapport montre à quel point la cohésion sociale est le meilleur instrument de la performance économique. Le savoir-faire se nourrit du savoir-être ensemble. La bonne gouvernance (c’est le mot à la mode) a besoin de confiance, de participation, de subsidiarité… Une organisation du pouvoir trop centralisée est un frein aux initiatives. La négociation est indispensable.

Dans la comparaison européenne, la France, 8e, « Une position moyenne » occupée également par le Royaume- Uni et l’Allemagne, bien derrière les pays scandinaves, a encore des progrès à faire dans beaucoup de domaines. Au 12e rang seulement pour la performance économique, elle ne brille pas non plus par ses résultats en matière de lien social puisqu’elle n’occupe que la 8e place derrière, sans surprise, les pays scandinaves mais, plus étonnant, après également le Royaume-Uni ou l’Irlande.

Le résultat est sans appel : les pays les plus performants sont aussi ceux qui ont les meilleurs résultats sur le plan de la cohésion sociale. Et de ce point de vue, ce sont les pays du nord de l’Europe (Suède, Finlande, Danemark) qui arrivent en tête du palmarès, avec les Pays-Bas et l’Autriche. Des pays qui ont pour trait commun d’avoir un système de gouvernance reposant sur une démocratie sociale et locale très développée.

Dans les pays nordiques, elle se traduit par « un contrat social fondé sur un impôt élevé et des mécanismes de redistribution sociale nombreux », et aux Pays-Bas, par une tradition « toujours actuelle de participation élevée des partenaires sociaux dans la vie économique et sociale », remarque le rapport. « Il est intéressant de noter que les cinq pays qui arrivent en tête sont aussi ceux qui arrivent en première position pour le taux d’emploi des femmes ou les dépenses d’assistance aux personnes âgées. Ce sont des démocraties où l’on parvient à construire un consensus sur des enjeux sociétaux », commente l’un des auteurs. À l’inverse, la Grèce, où le lien au collectif est très distendu, se retrouve dans le bas du classement.

Quant à la France, elle bénéficie d’amortisseurs dans les périodes de crise et rebondit moins vite ensuite sur le plan économique. Le délégué général de l’association, Jean-François Chantaraud, explique que les conditions du débat y sont insuffisamment réunies, l’État impulse tout et il y a une démission du citoyen. La preuve, nous avons fait la réforme des retraites en six mois alors qu’en Finlande, ils ont mis quinze ans pour y parvenir. »

La situation est cependant contrastée selon les territoires. Le palmarès des 22 régions françaises place en tête les Pays de la Loire, la Bretagne et Midi-Pyrénées. Avec une exception, l’Île-de-France. Au 1er rang en termes de performance, elle ne se classe qu’au 20e rang en termes de lien social, infirmant ainsi la règle qui veut que les deux aillent de pair. Une position « atypique » qui s’explique pour des raisons historiques de centralisme et de concentration de tous les pouvoirs. Super-performante, la région parisienne est aussi celle où le lien social est le plus altéré, compte tenu de l’anonymat généré par la forte concentration urbaine, des durées de transports ou de la délinquance. Si l’on exclut ce cas particulier, les régions qui réussissent le mieux sont aussi celles où l’on vit le mieux. Elles se situent sur un axe centre-ouest – avec les Pays de la Loire, la Bretagne, Midi-Pyrénées, Limousin – et à l’extrême est du pays (Alsace, Rhône-Alpes). Des territoires qui ont en commun d’entretenir une relative indépendance à l’égard du pouvoir central. La recette résiderait là encore dans le mode de gouvernance. « Ce sont ceux où l’information circule facilement, où le débat public est le plus dynamique et où chacun s’implique plus qu’ailleurs dans la construction du collectif », analyse le rapport.

À cet égard, les Pays de la Loire sont l’exemple le plus probant. Dans cette région de tradition catholique, la culture de l’entraide et de la solidarité est très forte – c’est là que sont nées les mutuelles – et le territoire s’est développé de manière équilibrée autour de pôles urbains complémentaires dont aucun ne domine l’autre. Résultat : c’est une des régions où l’on trouve le plus de bacheliers, où il y a le plus faible taux de chômage, le moins de conflits du travail et d’arrêt-maladie, et où l’on vote le plus…

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François Bayrou invité de « Vivement Dimanche »

Hier après-midi, Michel Drucker recevait sur son célèbre canapé rouge de « Vivement Dimanche » François Bayrou, président du Mouvement Démocrate et député des Pyrénées atlantiques.

Avant même que l’émission soit transmise (car elle est préenregistrée trois jours avant), des articles se sont empressés de transmettre le scoop après tant de mystère depuis 2007 : François Bayrou a enfin dit ce qu’il avait voté au second tour de l’élection présidentielle 2007, à savoir qu’il avait voté blanc !

En fait tout le monde s’en doutait et cela ne change rien. Il a dit en revanche d’autres choses très fortes et intenses dans l’émission, notamment à l’occasion de l’évocation du martyr des moines de Tibéhirine, que c’était pour lui une démonstration que « L’AMOUR est plus fort que la mort ».

Nous avons aussi découvert en François Bayrou un talent réel pour le théâtre (il a fait le conservatoire national de région, au départ pour vaincre son défaut d’élocution, de bégaiement). Jean-Laurent Cochet s’est montré époustouflé, admiratif, lorsque François Bayrou a récité la fable de la Fontaine « Le loup et le chien » (je le mettrai en ligne quand je l’aurai). Il est vrai que le talent d’acteur et de tribun sert en politique, alors que certains sont plutôt des illusionnistes, le rappelle François Bayrou à l’occasion d’un tour de magie d’un jeune Science-Po (pas Science-Pau !) de Bordères sur le plateau.

Moments émouvants de souvenirs politiques et de famille, images magnifiques de montagne des Pyrénées et de la ville de Pau,  région et ville très chères à François Bayrou, attaché à ses racines, se ressourçant auprès des siens, de son village et de ses chevaux (il sait leur parler et les mettre en confiance, l’un d’eux pose même sa tête sur son épaule).

Michel Drucker le présente comme un homme politique « décalé », toujours où on ne l’attend pas. Claude Sérillon découvre que c’est un « geek » (accroc à Internet,  aux nouvelles technologies de l’information). François Bayrou a même invité sur le plateau la représentante de Wikipedia, encyclopédie électronique réalisée grâce à la contribution gratuite des internautes. Il présente ce phénomène comme une révolution (comme le fut l’écriture et l’imprimerie) et un exemple d’entreprise non marchande, ou le savoir s’échange et s’enrichit sans contrepartie financière, une nouvelle forme d’intelligence en réseau. Décidément, François Bayrou n’est pas comme les autres hommes politiques !

Les frères journalistes Alain et Patrice Duhamel étaient aussi invités sur le plateau à parler de leur livre « Cartes sur table », traitant des relations qu’entretiennent les hommes politiques et les médias. Alain Duhamel décrit François Bayrou face aux journalistes comme un « mâle dominant » : « soit les journalistes jouent un rôle subalterne face à lui, soit ils se font engueuler ! »

Enfin, François Bayrou a pu (un peu) parler politique, expliquant la difficile position de résistance et d’indépendance au centre, indépendance à ne pas confondre avec solitude. Il a exprimé ce qui l’indignait le plus, reprenant encore une fable de la Fontaine (Les animaux malades de la peste) : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Il propose même de créer le PLF, le « Parti de La Fontaine » ! Pour illustrer l’objet de cette indignation, il cite la campagne présidentielle de 1995 : nous découvrons que les comptes de campagne de Chirac et de Balladur n’auraient pas dû être validés par le Conseil constitutionnel, mais qu’ils le furent car il n’était pas « pensable » de ne pas le faire, alors même qu’un petit candidat, Jacques Cheminade, avec 0,24% des voix, fut ruiné par cette campagne.

Interrogé sur la crise des dettes publiques européennes et sur la politique qu’il mènerait à l’égard des banques, il fait également une proposition : « Aujourd’hui la BCE prête aux banques à moins de 2% et les banques prêtent aux Etats, dans le cas Irlandais à 8 ou 9%. Au lieu de voir les intermédiaires privés prendre des marges considérables, il faut que la BCE assume cette fonction, qu’elle achète les titres de dette publique des pays de la zone euro fragilisés, ce qui permettrait aussi de les prémunir de la spéculation des marchés. »

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« Les Chrétiens d’Orient », une histoire et une actualité fabuleuses et tragiques

Un livre pour comprendre: « Les Chrétiens d’Orient.Vitalité, Souffrances, Avenir« , par Jean-Michel Cadiot. Editions Salvator (22,5 euros).

chretiens dOrient.jpgJean-Michel Cadiot, un ami journaliste à l’AFP et écrivain, vient de publier son dernier livre, une enquête très fouillée sur les Chrétiens d’Orient depuis la création de l’église, depuis Jésus Christ. Il connaît ces communautés car il a vécu de longues années au Proche Orient, en Iran et en Irak. Il relate l’histoire mais évoque aussi l’actualité de ces chrétiens.

Invité à commenter la triste et sanglante actualité (massacre des Chrétien à Bagdad, persécution de coptes,…) qui coïncide (curieusement et involontairement) avec la parution de son livre, Jean-Michel Cadiot s’exprime sur de nombreuses chaînes de radio et de télévision, vous pouvez l’écouter par exemple sur LCI, interviewé aujourd’hui par Vincent Hervouêt.

Qu’ils souffrent les chrétiens d’Orient! Certes, la vie est dure dans toute la région. Tous les Irakiens vivent menacés. Mais les Chrétiens, sans milices, sans protection, le sont plus que les autres. Pendant ce mois de novembre qui s’achève, la presse en a fait ses gros titres. Les Chrétiens d’Orient, si méconnus, ignorés, ont fait parler d’eux tristement avec le massacre perpétré par al-Qaïda dans la cathédrale syro-catholique de Bagdad, le 31 octobre 2010, en pleine messe. Plus de 50 morts, dont 46 chrétiens. Parmi eux, deux jeunes prêtres qui ont tenté de s’interposer et que beaucoup déjà, veulent faire canoniser. Le troisième, le père Raphaël, 73 ans, se rétablit à Paris, avec d’autres blessés. Un beau geste de la France.

Quelques jours après, ce sont en Egypte, des Coptes qui sont victimes d’exactions car la construction d’une église leur est refusée. Mais qui sont-ils ces Chrétiens d’Orient?

Jean-Michel Cadiot, nous retrace avec minutie mais de façon très accessible, depuis les tout premiers temps du christianisme, -Abraham, Moïse, Marie, Jésus et ses disciples étaient tous des orientaux, tout comme les premiers « Pères de l’Eglise, l’épopée de ces femmes et de ces hommes.

Il y a dix siècles, ces Chrétiens étaient beaucoup plus nombreux que les catholiques romains. Aujourd’hui, c’est une petite minorité, attachée à ses rites, ses liturgies, ses langues. Et pourtant très moderne. Bien avant les Jésuites, ils évangélisèrent l’Inde et la Chine, et jouèrent un rôle immense bien que souvent persécutés, au sein de l’empire romain, sous les califats arabes, -comme médecins, mathématiciens, malgré leur statut de « dhimmis », protégés, mais privés  de certains droits, notamment celui de convertir-  les Mamelouks, l’empire ottoman ou l’empire perse.

Une assimilation aberrante avec l’Occident

Le livre montre l’inanité et l’injustice qu’il y a à assimiler le christianisme à une religion « occidentale ». Jésus, tous ses disciples, étaient des juifs, parlant l’araméen. Des orientaux. Ou à considérer les Chrétiens d’Orient comme, fatalement des « alliés » de l’Occident, alors qu’ils furent pour la plupart opposés aux Croisades du Moyen-Age et qu’ils souffrent tragiquement des conflits -en Palestine, en Irak- qui touchent leur peuple. Ils ont toujours été loyaux, patriotes.

Si les livres sur cette communauté font florès, celui-ci nous propose une approche religieuse -on sent que l’auteur est chrétien, mais lucide sur toutes les fautes de Rome- et géo-politique inédites. Il examine, dans chacun des grands « patriarcats » -Constantinople, la « nouvelle Rome » fondée par Constantin, l’empereur qui libéra en 313, les chrétiens de tout l’empire des persécutions, Antioche, Jérusalem et Alexandrie, mais aussi en Arménie et en Perse- comment les Chrétiens imitèrent saint Paul. Celui qui fut renversé « sur le chemin de Damas » expliquait le « Dieu inconnu » aux Athéniens de l’Aréopage. Les Orientaux firent de même avec les mazdéens (perses), païens et polythéistes. Cadiot nous montre comment les cultes de Mithra -né d’une mère vierge, dans une grotte- en Perse et à Rome, d’Osiris -mort et ressuscité- en Egypte en particulier ont été « mis à profit » par les Chrétiens pour faire admettre monothéisme et christianisme.

Le livre, qui fourmille d’anecdotes pas toujours tendres pour la « catholicité » romaine, -rien n’est épargné aux Tusculi et aux Borgia!- et dévoile des aberrations apprises au catéchisme par beaucoup d’entre nous. Non, Jean-Baptiste ne mangeait pas des sauterelles, mais des carottes. Le traducteur grec aura mal choisi la traduction du mot araméen « kamsa » -qui a les deux sens. Des Araméens qui y voient une preuve supplémentaire de ce que l’Evangile a été écrite dans leur langue, une langue qu’ils continuent de parler quotidiennement. A Bagdad. Ou à Sarcelles ou Chicago, pour les exilés…..

Jean-Michel Cadiot nous montre les travaux, les recherches, les batailles acharnées d’Irénée de Lyon, d’Origène, Nestorius, Cyrille, Athanase, Augustin, -un Berbère africain longtemps adepte d’une autre religion née en Orient, le manichéisme-, Ephrem, Maxime-le-Confesseur et tant d’autres, qui, de la Pentecôte au Concile de Nicée (en 325) et Constantinople (381), et jusqu’au IX siècle, se sont entendus pour combattre les « hérésies », surtout l’arianisme qui relègue Jésus au second plan. Et définir cette spécificité chrétienne: un Dieu en trois personnes. Les « Pères » se déchirèrent à Ephèse (431) -avec le départ de l’Eglise de l’Orient, nestorienne, née dans l’empire perse, refusant de voir en Marie la « mère de Dieu »- puis Chalcédoine (451) où Coptes, Arméniens, et « syriens-occidentaux’, accusés de monophysisme ont alors tour pris leur envol.

Mais nous découvrons combien ces querelles sont plus sémantiques, puisque beaucoup ne comprenaient pas le grec, ou politiques, avec les rivalités entre Constantinople, Antioche et Alexandrie, sans compter que les Nestoriens, perses, marquaient ainsi leur indépendance vis-à-vis de Constantinople, que théologiques Depuis Vatican II, avec Paul VI puis Jean-Paul II, tous ces conflits ont été gommés.

Autre rupture, dramatique. Celle entre catholiques et orthodoxes en 1054. L’auteur nous montre l’attitude implacable du légat du pape Hubert de Moyenmoutier, qui excommunia le patriarche Cérulaire. Le pape Léon X était mort. Et il s’interroge sur la validité de cette rupture.

Puis, quatre siècles, après que les musulmans ont conquis l’Arabie, l’Irak, la Palestine, la Syrie et l’Egypte, mais aussi l’Espagne- ce sont les Croisades. L’empire l’empire byzantin est menacé par les Turcs, musulmans. Ces Croisades sont horribles, visant d’abord les Juifs sur leur passage.

Cela dura de 1096 à 1291. Bernard de Clairvaux, François d’Assise, Louis IX « sauvèrent », par leur pacifisme l’honneur de l’Eglise, souligne Cadiot.
Le 13 avril 1204, il y avait eu le siège de Constantinople, la guerre des catholiques contre les orthodoxes. Le pape condamna, timidement. C’est comme les massacres des Cathares, les papes furent souvent bien tièdes pour condamner les exactions catholiques.

Un rôle immense dans le « réveil arabe »

Mais, si les réconciliations, tentées à deux reprises (à Lyon en 1274, et Florence, 1439) ont échoué, des missionnaires, surtout Dominicains et Franciscains s’installèrent durablement, la France étant désignée « protectrice des Chrétiens » par l’empire ottoman en 1436, sous François 1er. Peu à peu Rome fit revenir une partie des Chrétiens d’Orient dans son giron. Il se créa des Eglises chaldéenne (héritiers catholiques de l’Eglise de l’Orient, ayant abjuré le nestorianisme), des Syro-catholiques, des Coptes catholiques, des Arméniens catholiques. Quant aux Maronites, principaux créateurs du Liban, ils ont toujours été catholiques…

Jean-Michel Cadiot, en journaliste de l’AFP attaché à la fiabilité et au recoupement des sources et aux enquêtes approfondies se livre à un exercice plus qu’ambitieux: un tableau chiffré, Eglise par Eglise, et pays par pays des Chrétiens d’Orient, intégrant les informations sérieuses émanant des Eglises ou des gouvernements, ou encore des spécialistes; rejetant la grande majorité, totalement fantaisistes. Il arrive à un chiffre de 105 millions -dont, il est vrai 45 millions d’Ethiopiens, issus de l’Eglise copte- et dont 20 millions dans la diaspora, une diaspora vivante, porteuse d’avenir et non éteinte. Outre l’Irak, qui craint un exode, et l’Iran -moins de 200.000 chrétiens-, Jean-Michel Cadiot insiste sur les deux grands drames du 20è siècle: le génocide arménien -1,5 à 2 millions de morts, qui toucha tous les Chrétiens de Turquie. Depuis ce pays qui comptait 25% de chrétiens n’en a plus que 150.000 environ. Et le conflit israélo-arabe: dans l’ancienne Palestine, il y avait 25% de Chrétiens. Aujourd’hui environ 2%. Seulement 10.000 Chrétiens à Jérusalem-est et 30.000 à Bethléem. Mais 200 à 300.000 Chrétiens israéliens, conjoints de juifs immigrés de l’ex-URSS ou d’Europe de l’est. Soit plus que de Chrétiens arabes de nationalité israélienne, encore nombreux à Nazareth…Mais: un million de Melkites (catholiques de rite grec) palestiniens dans les deux Amériques.

Espoir et solidarité, un « pont » pour l’avenir

Jean-Michel Cadiot écarte avec sérénité et conviction la disparition annoncée des Chrétiens d’Orient, qui vivent dans des conditions très différentes selon les pays. Il rejette le catastrophisme, mais appelle à la solidarité. Ils ont, dans toute leur tragique histoire, surmonté bien des épreuves. Des épreuves plus dures. Au Moyen-Orient, ils sont indispensables. C’est eux les « pionniers du réveil arabe », mais dans la main avec les Musulmans. La « nahda » au début du XXè siècle, avec notamment le Maronite Néguib Azouri, c’est surtout eux. Presque tous les partis politiques arabes, les grandes maisons d’édition ont été fondés par des Chrétiens.

Une nouvelle forme d’islamisation, intégriste, violente, tente d’empêcher tout dialogue et progrès, de relancer la « guerre des religions ». Bush et sa guerre y ont bien aidé, relève Jean-Michel Cadiot.

Pour lui, la survie, l’épanouissement des Chrétiens d’Orient, qui peuvent être un « pont » entre deux mondes qui se déchirent, sont un des grands enjeux de ce siècle.

Cadiot-profil.jpgJEAN-MICHEL CADIOT est journaliste à l’AFP et écrivain, syndicaliste, président de l’Association pour la défense de l’indépendance de l’AFP (ADIAFP). Il a débuté à Témoignage Chrétien à 17 ans. A l’AFP, il a été correspondant à Bagdad pendant deux ans (1979 à 1981), également directeur du bureau de Téhéran à deux reprises (1991-1992, 1999-2002), en tout cinq ans, et de Bucarest (1995-1997). Membre de l’Institut Marc Sangnier, vice-président de l’Association d’entraide aux minorités d’Orient (AEMO).

Ses ouvrages précédents :

  • Quand l’Irak entra en guerre (L’Harmattan, 1989).
  • Mitterrand et les communistes (Ramsay, 1994)
  • Francisque Gay et les démocrates d’inspiration chrétienne (Salvator, 2006)

J’ai ouvert mon blog à Jean-Michel l’an dernier, le 17 octobre 2009, pour publier sa chronique sur le millénaire de la destruction du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, événement historique qui avait marqué le début de la guerre des croisades.

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« La Grande Régression » (Jacques Généreux) : Décryptage (2ère partie)

Voici la suite annoncée d’un 1er article publié le 1er novembre 2010, qui résumait et commentait la partie du dernier essai de Jacques Généreux consacrée à la régression économique et écologique. « La Grande Régression » est un livre remarquable dont je recommande à tous la lecture et encourage réflexions et débat sur ce thème du modèle de société.

Attachons-nous à présent à suite de ce livre, consacrée à la régression sociale, morale et politique, qui accompagne la régression économique et écologique.

1- Un diagnostic clairvoyant, étayé par une analyse anthropologique

Pour comprendre l’évolution des sociétés humaines, depuis les sociétés primitives, puis traditionnelles, jusqu’aux sociétés modernes, post-modernes et même ce que l’auteur appelle « l’hypersociété », il nous faut remonter le temps, revisiter l’histoire. Jacques Généreux aborde le sujet par une approche anthropologique très intéressante, remonte aux motivations profondes de l’être humain et de ce qui le relie aux autres, à la société, pris dans une tension dialectique entre l’aspiration à la liberté, à l’autonomie, à une émancipation, et le désir de créer des liens sociaux, d’exister par l’autre, par les autres.

Il démontre que la société industrielle moderne était déjà dans sa genèse une formidable machine à dissocier et à dissoudre l’alliance entre les hommes. L’impulsion dominante du capitalisme pousse vers une « dissociété » plus individualiste, éclatée par la compétition et l’inégalité. Poussé à son extrême ces trente dernières années, le système capitaliste a été le théâtre d’une déconstruction des liens sociaux qui rassemblent les individus en communautés humaines et les communautés humaines en une grande société.

A cette « dissociété », l’auteur oppose une « société de progrès humain », du « bien vivre ensemble », cherchant à concilier la liberté (être soi-même), l’égalité réelle (égale capacité des individus) et la fraternité (être avec, par et pour autrui, en solidarité), c’est à dire l’idéal républicain, celui d’une république non seulement sociale, mais aussi durable et écologique, ne s’arrêtant pas au bien vivre de la génération présente mais s’attachant à la préservation des générations futures. La conciliation de la liberté et de la cohésion sociale passe selon lui par l’intensification de tous les liens sociaux. Or, la culture occidentale moderne et notamment néolibérale contemporaine, a ancré dans les esprit que liberté signifiait indépendance, des autres et des normes sociales. Une forme d’individualisme, d’affirmation de soi pour exister en propre indépendamment des autres, une forme libertaire et finalement égoïste de l’expression individuelle, aboutissant à une atomisation des individus, considérés séparément avec chacun son intérêt particulier. Une société d’hommes faite d’une juxtaposition d’individus indépendants, plutôt que d’individus liés entre eux. C’est là que réside une première erreur conceptuelle de cette culture occidentale néolibérale, un faux postulat selon l’auteur, car la liberté réelle ne signifie pas pour lui « indépendance » et par là isolement mais au contraire « une émancipation par des liens qui libèrent »,c’est-à-dire, d’après ce que j’en traduis, une liberté exprimant une prise de conscience et des choix personnels dans un environnement social qui passe par une immersion de l’individu dans des normes sociales, lui-même soumis à un conditionnement au sein de groupes, de communautés avec lesquelles il entretient des liens, prenant ses repères dans un système de référence et d’éducation, dont il pourra s’affranchir ou prendre de la distance après et grâce à cette immersion, à la manière d’un enfant qui, d’abord complètement sous l’emprise de sa mère, de ses parents, va progressivement s’en détacher en grandissant dans sa famille et en s’ouvrant progressivement à d’autres relations, d’autres groupes.

Différents cercles relationnels nous lient aux autres (famille, école-voisinage-amis, travail, associations, pays, religion, humanité dans son ensemble…), comme dans une spirale concentrique (p.198). Jacques Généreux décrit le délitement des liens auquel on assiste dans ces différents cercles mis chacun sous tension et contaminant les autres cercles de ses propres tensions. La spirale qui fonctionnait dans un sens ascensionnel, mue par une sorte d’énergie positive, s’est soudain fragilisée à partir des années 70-80 puis a inversé sa marche. Par exemple les tensions au sein de la famille, où l’enfant apprend à grandir et à s’épanouir avec des très proches, ont été favorisées par la poussée libertaire, la multiplication des divorces, l’introduction de la télévision dans les ménages, la plus grande permissivité, le relâchement de l’autorité parentale, notamment dans l’éducation des enfants devenue plus difficile,… Ces tensions se sont transmises à l’école, qui elle-même joue un rôle essentiel dans l’apprentissage du lien social, de notre rapport aux autres, lieu de confrontation à l’altérité, à la différence sociale et culturelle des individus. Les parents ont délégué une part de leur responsabilité et de leur autorité à l’école, la perte d’autorité s’et transmise aux professeurs, le délitement moral, la poussée libertaire, l’individualisme (l’enfant-roi, libre de ses choix) et l’utilitarisme grandissant d’un système de plus en plus asservi à la cause marchande, à la course aux diplômes, à la fabrication de producteurs-consommateurs aux ordres des marchés, plutôt qu’à la défense des valeurs républicaines et à la formation de citoyens intelligents (dont les marchés n’ont que faire !), a opéré une mutation des méthodes d’enseignement et même des programmes éducatifs : les moyens dévolus à l’école publique se tarissent, les sciences humaines et sociales non directement rentables sont dévalorisées, un semblant d’instruction civique n’est maintenue a minima que pour satisfaire une clientèle électorale qui exige un retour à l’ordre moral, alors que les entreprises privées de soutien scolaire fleurissent et sont cotées en bourse (dont seules les familles fortunées peuvent se payer les cours ou celles payant d’impôt sur le revenu bénéficier de déduction fiscale)… Les écoles publiques sont peu à peu remplacées par des entreprises de formation répondant aux attentes des marchés.

Pour Jacques Généreux, combattre le désordre moral suppose (p.234) :

1- une société décidée à replacer l’intérêt général du « bien vivre ensemble » au dessus de l’intérêt personnel,

2- une société disposée à investir en priorité dans l’éducation et l’accompagnement de ses enfants vers l’âge adulte et la citoyenneté.

Or, les politiques néolibérales font exactement l’inverse. Une phrase p.235 résume l’orientation de leur action : « les néolibéraux  détruisent l’idée même d’intérêt général en faisant l’apologie permanente de la rivalité et du mobile de l’intérêt personnel, en déployant un système économique qui fait exploser les inégalités et qui ne profite qu’à une minorité dominante, en sauvant les prédateurs qui déclenchent le crises financières, en mettant tous les moyens de la puissance publique au service d’intérêts privés. » Lorsqu’elles invoquent la morale, ou la « moralisation du capitalisme » (qui est par essence amoral, sans morale du tout), c’est pure hypocrisie, pour détourner l’attention du désordre social, c’est un vœu pieu non suivi d’actions.

Or, une politique inégalitaire, injuste, qui favorise même les inégalités et engendre la pauvreté et la précarité, qui mène ainsi au désordre social, au développement de la violence, physique, verbale et comportementale (incivilité), de la délinquance, etc., développe aussi la peur et donc le besoin d’ordre, de protection, de sécurité. C’est pourquoi les gouvernements de droite qui promeuvent ces politiques gouvernent en même temps par la peur et favorisent les lois sécuritaires, répressives. « L’Etat pénitence mange l’espace et les moyens de l’Etat providence ». L’Etat gendarme enferme au lieu d’éduquer, lamine les libertés publiques au lieu de les protéger. Il a parfois même intérêt à nourrir la peur et fabriquer de l’insécurité, comme l’a fait l’administration Bush en fabriquant de fausses preuves démontrant la présence d’armes de destruction massive en Irak (on pourrait ajouter l’exemple des Roms, du discours de Grenoble de N.Sarkozy, rebondissant sur un fait divers pour associer insécurité et immigration et justifier une politique sécuritaire et d’exclusion). Or la peur de l’autre et le repli de protection sur des petits cercles de proximité, famille ou à défaut bandes de copains, sectes, … favorise le communautarisme ethnique et religieux (la quête du religieux retrouvant son sens premier, celui de relier les hommes), plus d’ailleurs par souci identitaire que motivé par la spiritualité et la foi.

La régression politique, traduite par des politiques de moins en moins au service de l’intérêt général et de la défense des valeurs républicaines, a aussi profondément atteint son fondement : la démocratie. « La presse ne joue plus son rôle de contre-pouvoir, les médias sont devenus une industrie marchande et un instrument redoutable de conditionnement psychique et d’embrigadement des masses, un authentique pouvoir mais sans le moindre contre-pouvoir »… « Les citoyens sont devenus plus bêtes, moins informés et moins autonomes ! Abrutis par la télévision, anesthésiés par la surconsommation, mal grandis dans un système scolaire sinistré par des décennies de néolibéralisme »… « La raison et la démocratie sont devenus des obstacles au déploiement de la cupidité des marchands et des gestionnaires de capitaux ». D’ailleurs beaucoup de citoyens ne s’intéressent même plus à la politique où l’on carrément rejetée par découragement et par dépit, par écoeurement des manœuvres politiciennes, des mensonges, des manipulations. Ils désertent les urnes et boudent la démocratie.

Face à ce constat, Jacques Généreux appelle les citoyens à un réveil, à une nouvelle Renaissance, celle du progrès humain.

2- Pour une nouvelle Renaissance, celle du progrès humain

Le titre de ce chapitre est prometteur. Hélas, sa lecture est décevante car plus que des propositions constructives nous indiquant un chemin à suivre pour faire évoluer le système vers un nouveau modèle, il est surtout un réquisitoire à l’égard des gouvernements qui se sont succédés dans ces trente dernières années, à gauche comme à droite, particulièrement critique envers les « pseudo-progressistes », les socio-démocrates, qui ont entretenu les mythes, qui se sont accommodés de l’économie de marché et en ont accéléré les effets dévastateurs en favorisant la dérégulation. Nos élites gouvernantes sont-elles atteintes d’une forme de « paralysie de l’entendement, d’asthénie de la pensée, d’aveuglement absurde » ? Ou bien sont-elles soumises au service d’intérêts particuliers d’une élite dominante ?

Quelques extraits (cités entre guillemets) :

Même ceux qui se proclament de « gauche », au Parti Socialiste, « dénoncent les symptômes mais pas la maladie, sans contester le système lui-même ». « Ils stigmatisent quelques méfaits de la mondialisation du capitalisme, mais pas le capitalisme ». Pas seulement les pseudo-progressistes en France mais aussi les Démocrates aux Etats-Unis, les travaillistes britanniques et toutes la social-démocratie européenne, n’ont rien fait pour contrarier la Grande Régression. « Ils l’ont même aggravée en Europe, en soumettant les nations, comme jamais, au dogme de la libre concurrence et au pouvoir de la finance »… « La gauche ne vise plus à transformer la société en vue d’un projet d’émancipation original ; elle cherche d’abord à gagner les élections ; elle vise ensuite la croissance économique nécessaire pour étendre les droits sociaux et la protection sociale »…

« Ainsi, à gauche comme à droite, la prospérité économique et l’expansion de la consommation deviennent les clés du bonheur des individus et de la société »… Finalement le clivage entre droite et gauche n’est plus si déterminant : « la gauche veut profiter de la prospérité pour réduire les inégalités, alors que la droite croit que trop d’égalité économique tue la croissance. Mais ce ne sont finalement que des débats techniques d’économistes ou de sociologues, qui portent plus sur les moyens que sur la philosophie et la finalité de l’action politique ».

Il est temps de mettre fin aux mythes et aux faux dilemmes :

le mythe que « grâce à la croissance économique favorisée par le système capitalisme, le libre-échange mondialisé dans la compétition, soutenu par une financiarisation de l’économie, les individus pourront un jour satisfaire leurs besoins à satiété » ;

celui que « chacun, tout en défoulant ses pulsions prédatrices dans la concurrence, contribuerait involontairement mais sûrement à l’abondance générale et, partant, à l’harmonie sociale » ;

celui de « l’harmonisation spontanée des intérêts privés par les échanges, la pacification de rapports sociaux et internationaux par le doux commerce et le libre-échange, le marché libre autorégulé et dispensateur de tous les bienfaits individuels et sociaux ;

« le faux dilemme, artificiellement construit sur une erreur anthropologique qui oppose les liens sociaux à la liberté, qui oppose la société à l’individu. Il convient au contraire de construire la liberté des individus grâce à la qualité et la diversité de leurs liens sociaux » ;

enfin « le piège de l’Europe, qui souffre d’une démocratie affaiblie par des traités qui permettent d’établir des politiques publiques supranationales où les lois européennes priment sur les lois nationales, des lois initiées par la Commission européenne sans que les citoyens aient le pouvoir de les contester ou de les influencer par leur vote, des traités européens qui ont constitutionnalisé les politiques néolibérales, la libre concurrence généralisée, la libre circulation des capitaux et donc les pleins pouvoirs pour le capital ».

« Dans les faits, le capitalisme productiviste et le marché libre n’engendrent ni l’abondance, ni l’harmonie sociale »… »L’impasse productiviste, au lieu d’atténuer le dilemme engendré par l’impasse individualiste, ne fait que l’accentuer. Face à la déliaison sociale engendrée par le culte de la marchandise et de la compétition, les sociétés humaines retombent toujours sous l’attraction d’une restauration quelconque des liens sociaux, sous une forme communautariste ou étatique ».

Que propose l’auteur ?

Quelques lignes en fin du livre à partir de la page 267 : Une « nouvelle émancipation de l’humanité qui passe par une refondation anthropologique de nos conceptions de la liberté et de la société ». Une redéfinition de la liberté, qui ne serait pas « un désir d’autonomie au sens strict mais celui d’être libre de se lier aux autres, libre de choisir les modalités de son interdépendance naturelle avec les autres »… « L’émancipation passant par l’interaction ouverte des cercles relationnels, par le remplacement de liens aliénants par des liens qui libèrent ». Cette émancipation n’étant pas un mouvement naturel de l’humanité ; c’est un projet politique, un projet de civilisation ».

Pour cela l’auteur proclame que « la nouvelle république doit bannir autant le repli communautariste que l’homogénéité totalitaire (…) et s’engager dans le renforcement de tous les liens ». Une « révolution démocratique » qui devrait abolir la dictature de l’instant, de l’opinion et des médias imbéciles ou inféodés, qui devrait également nous prémunir contre le carriérisme politicien …

Il conclut qu’ « il ne reste quasiment plus un seul grand parti politique qui s’oppose à la régression. « Les citoyens ont le choix entre ceux qui organisent la régression, ceux qui l’accompagnent, ceux qui la déplorent comme une regrettable fatalité et les néofascistes qui font commerce du dégoût inspiré par les précédents. Pour autant il existe toujours des forces minoritaires dont l’offre politique pourrait, en théorie, répondre à la nécessité de bifurquer vers un autre chemin ».

L’auteur estime montrer par ce livre qu’une autre voie est possible et accessible. Qu’il suffit de le décider par son vote. Il ne cite à aucun moment le Parti de Gauche, dont il est co-fondateur avec Jean-Luc Mélenchon, mais l’appel au vote est bien évident.

Cependant, je reste sur ma faim concernant la description de « l’autre voie possible ».

3- Conclusion : une suite du livre sur les propositions alternatives ?

J’ai suivi l’auteur au fil de sa démonstration, de son argumentaire, sur son diagnostic, son constat des dérives destructrices et des dysfonctionnements du modèle de société actuel, que l’on peut appeler « néocapitaliste », déterminé sur le plan économique par l’économie de marché libre et concurrentiel dans la mondialisation et par le pouvoir des actionnaires, des détenteurs du capital, dont le moteur est le profit à court terme.

Concernant l’argumentation des causes de ces dysfonctionnements, je ne suis cependant que partiellement convaincue par l’auteur : il me paraît abusif d’attribuer les dérives du système au principe de « libre-échange » lui-même, de même qu’au pouvoir du capital. Le problème réside plutôt dans l’abus de l’utilisation de cet outil, dans la qualité des détenteur de ce pouvoir, de ce capital et dans les intentions de son utilisation, dans la mutation d’un capitalisme entrepreneurial visant une utilité économique et sociale vers une nouvelle forme de capitalisme, le capitalisme financier aboutissant à une financiarisation de l’économie, à une déconnexion entre les actionnaires et les entrepreneurs, entre les intérêts d’actionnaires financiers et ceux de l’entreprise, de son utilité sociale). Ainsi j’attribue les dérives plutôt aux excès, au manque de régulation d’un tel outil, ainsi qu’à une déculturation, une déresponsabilisation citoyenne, à un délitement des valeurs qui forge le lien social et l’adhésion aux principes de solidarité, à des contraintes et normes sociales (et environnementales) au profit de l’intérêt général.

Par ailleurs, je ne pense pas contrairement à ce que proclame l’auteur, qu’il y ait une volonté machiavélique d’une élite organisée, consciente des effets destructeurs du système, à le perpétuer, à développer chômage, précarité et inégalités, uniquement à son avantage. Je trouve nauséabonde une certaine théorie du complot de domination du monde (Trilatérale, Bildeberg, Le Siècle …) qui fleurit sur les blogs, qui entretient la peur et l’esprit de vengeance. Je déteste qu’on stigmatise des populations en faisant des amalgames, désignant d’une façon manichéenne les « bons » d’un côté et les « méchants » de l’autre, désignant les coupables : les riches, les banquiers, les médias, les hommes politiques, etc., faisant naître ou croître l’esprit de vengeance dans l’esprit des populations en souffrance, qui trouvent un défouloir aujourd’hui sur Internet, demain dans la rue et dans les urnes par un vote populiste de rejet qui ne sera pas forcément un vote d’adhésion à une reconstruction positive.

J’ai trouvé en conclusion du livre des recommandations visant à  renforcer tous les liens sociaux et à redéfinir la notion de liberté, mais je n’ai pas trouvé les réponses en termes de modèle alternatif et d’actions concrètes pour y arriver. Faut-il abolir le libre-échange tant décrié ? Faut-il sortir de l’Europe, mais comment peser sur l’ensemble du monde, comment inscrire un modèle de société national différent dans la mondialisation ? En s’en protégeant (protectionnisme) ou en généralisant un modèle expérimenté d’abord dans notre pays ? Faut-il imposer une nouvelle gouvernance aux entreprises ou les inciter à une recomposition de leur actionnariat et à un nouveau partage de leurs profits (fiscalement, réglementairement,…) ? Concrètement, que répondre au chômeur, à l’étudiant qui peine à trouver un travail et un logement, à l’agriculteur ou à l’éleveur qui subit de telles baisse de prix du lait ou de la viande qu’il ne couvre même plus ses frais et ne peux plus vivre de son travail ? Que penseront-t-ils de recommandations sur un modèle de société qui vise simplement « l’émancipation par les liens qui libèrent » et la nouvelle définition de la liberté ?

Et surtout, la question essentielle : sur quelles valeurs appuyer le modèle idéal, donnant la direction du projet de société ? Espérons qu’un prochain livre de Jacques Généreux apportera des réponses à ces questions.

Notons que, même s’il ne le dit pas dans ce livre, certains mouvements politiques aujourd’hui encore minoritaires, en dehors du Parti de Gauche et du Parti Communiste, ont fait ce constat des dérives du système tout en formulant des propositions d’évolution importante du modèle, en repriorisant les objectifs. J’en vois principalement deux: les écologistes et le Mouvement Démocrate. Ce dernier, dans le courant de pensée humaniste et démocrate porté par François Bayrou, a entamé une profonde réflexion de reconstruction, de propositions de réorientation des priorités et des moyens d’actions, en partant justement des valeurs et en remettant l’homme, le progrès humain, au centre du projet. Il décrit les axes de ce modèle dans son projet humaniste.

Il appartient à toutes les formations politiques de définir leurs valeurs prioritaires, leur projet de société, avant de décliner un programme. Alors, il sera passionnant de faire un véritable débat public sur ce thème du modèle de société, et cela pourra redonner au citoyen l’envie de l’engagement politique et l’espoir d’un monde meilleur !

Merci en tout cas à Jacques Généreux pour son intelligente et passionnante contribution !

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« La Grande Régression » (Jacques Généreux) : décryptage (1ère partie)

Enfin un livre traitant globalement du modèle de société et même de notre civilisation !

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jacques-genereux.1178477426.jpgPar cet essai remarquablement argumenté et documenté, sous une rétrospective historique ainsi que le récent éclairage de la dernière crise financière devenue économique, Jacques Généreux dresse un constat implacable sur les dérives et la perversité du système capitaliste néolibéral dans la mondialisation, un système destructeur tant socialement que sur le plan écologique, voire de l’espèce humaine. Il explique en quoi de manière systémique, structurelle, la logique de ce système, basée sur le « pouvoir du capital » inscrit dans un contexte de libre-échange généralisé au niveau mondial, où règne la loi du plus fort à la recherche du profit à court terme, finalement la course au moins-disant fiscal, social, environnemental, nous entraîne inéluctablement vers plus d’inégalités, de misère sociale, de destruction de l’environnement, de délitement du lien social, pour le plus grand malheur de tous, … et au profit d’une minorité dominatrice.

Ce modèle économique dominant, marqueur de la civilisation occidentale qui s’est imposé aux Etats-Unis puis à l’Europe, au monde, et qui est maintenant adopté aussi par les pays émergents, notamment par la Chine, a pris son essor dans les années 1980 aux Etats-Unis et en Grande Bretagne avec les conservateurs néolibéraux (ère Reagan/Thatcher) et s’est particulièrement imposé suite à la chute du mur de Berlin (1989) et de l’URSS, renforcé encore par les gouvernements démocrates et travaillistes (Clinton/Blair et même en France avec des gouvernements socialistes, avec D.Strauss-Kahn et Laurent Fabius notamment) qui ont poursuivi les politiques de dérégulation financière, de privatisation, de libre circulation des capitaux dans la mondialisation, de mise en place des stock-options défiscalisés …

Le système capitaliste, qui devait après la seconde guerre mondiale et pendant les trente glorieuses s’adapter à la société, à ses contraintes sociales et à son modèle républicain basé notamment en France sur un socle de services publics et de protection sociale, a opéré alors un renversement dans le modèle, devenant dominant et décidant désormais d’adapter les exigences sociales et l’intérêt général aux marchés, acceptant finalement que l’intérêt général soit asservi à la libre compétition des intérêts privés, érigée en dogme. Et alors, tout s’est accéléré, généralisé, selon un processus paraissant irréversible.

Jacques Généreux bat en brèche quelques fausses idées martelées par les défenseurs de ce modèle et même par ceux qui le déplorent mais se sentent obligés d’y souscrire, capitulant devant leurs arguments, notamment :

1- Les Etats sont devenus impuissants face à la mondialisation, aux délocalisations. L’économie l’emporte sur le politique ;

2- Toute politique fiscalement défavorable aux riches ou trop régulatrice va faire fuir les riches du pays ainsi que leurs investissements dans nos entreprises, donc nos emplois.

Sur le premier, il oppose trois contre arguments, auxquels j’ajoute moi-même du sel :

Les Etats, loin d’être impuissants, ont eux-mêmes favorisé ce système, en faisant voter les lois qui ont permis la généralisation de la dérégulation financière, de la primauté de la concurrence sans barrière, au mépris du dumping social et écologique des pays émergents. Les organismes internationaux comme l’OMC et le FMI, ainsi que la Commission européenne, ont œuvré dans ce sens avec le consensus des Etats dominants.

La puissance publique n’est pas en elle-même mise en cause, mais plutôt la privatisation de la puissance publique, sa mise au service d’intérêts privés, qui se sont immiscés dans les intérêts de l’Etat, puissances financières qui disposent d’un pouvoir médiatique et donc jouent sur l’opinion publique, manipulent les esprits et orientent les politiques, tout en étant pour certaines « en affaires » avec l’Etat.

L’Etat, censé représenter les citoyens et défendre l’intérêt général, manque à sa fonction en trompant les citoyens. Les gouvernements ont mis en œuvre des dispositions que les citoyens n’ont jamais souhaitées où pour lesquelles ils n’ont pas été consultés. Pire, ils sont consultés et le gouvernement fait l’inverse (non au référendum sur l’Europe en 2005 puis vote par le Parlement sans consultation citoyenne du traité de Lisbonne). Les citoyens, dupés, découragés, désertent de plus en plus les urnes, démobilisés …

Sur le second, la menace de fuite des riches investisseurs vers d’autres paradis (à laquelle j’ajoute également les miens) :

ce n’est pas parce que l’investisseur ne réside plus en France que ses investissements sortent des entreprises françaises. La France reste un pays attractif pour les capitaux étrangers (elle oscille entre la deuxième et la quatrième place mondiale dans les destinations préférées par les investisseurs, comme rappelé page 96). Seule change la fiscalité appliquée au ressortissant, en fonction de son pays de résidence. Alors oui, la France pourrait avoir à renoncer à des impôts payés par les riches sur leurs revenus si ces derniers partent … Mais partiront-ils vraiment ? La vie en France les retient souvent aussi pour leur famille, leur cadre de vie, leur région etc.

si les riches partent, voire même une partie de leurs investissements, qui seront remplacés par d’autres, rien ne dit que les emplois partiront aussi. Ces derniers dépendent de la localisation de la production, qui elle-même est conditionnée par la concurrence étrangère notamment sur le coût de main d’œuvre locale, mais ne sont pas fonction du pays de résidence de l’actionnaire …

de plus il est maintenant prouvé, mis au grand jour notamment par l’affaire Bettencourt, que la France est finalement déjà un paradis fiscal pour les riches : en logeant leurs revenus mobiliers (dividendes sur actions) dans une holding quasiment non imposée sur les bénéfices (1,6% tout au plus), ils ne sont imposés que sur leurs dépenses, ce que cette société leurs verse pour vivre et payer l’entretien de leur patrimoine. Ainsi, Liliane Bettencourt ne paie que 9% de ses revenus réels, grâce à ce dispositif, doublé du bouclier fiscal, malgré l’ISF qui du coup plafonne. On découvre que la fiscalité française est plus avantageuse que la fiscalité suisse !

Sur ces points, mon diagnostic converge avec celui de Jacques Généreux. Cependant, alors que lui dénonce la perversité intrinsèque du système « capitaliste », du pouvoir exorbitant du capital, des détenteurs de capitaux, les riches capitalistes érigés en une caste dominante, je serais plus nuancée en discernant les points suivants :

1- ce n’est pas le mode de fonctionnement qui est en soi à critiquer, ni tous les « détenteurs de capitaux », mais à mon avis un certain fonctionnement dévoyé du capitalisme qui est le « capitalisme financier », déconnecté de l’économie réelle, poursuivant uniquement la maximisation du profit à court terme au détriment de l’utilité sociale ou de la durabilité de l’entreprise.

2- C’est aussi le culte de l’argent, du profit, érigé en priorité et même en valeur de reconnaissance sociale, de symbole du pouvoir et de la réussite, qui est une « maladie sociale ». Si les hommes s’intéressaient moins à l’argent et aux valeurs matérielles, elles mêmes sans cesse valorisées par les médias, les jeux télévisés etc., pour se tourner vers d’autres valeurs plus spirituelles, plus humaines, le moteur du modèle serait différent. Or ceci est une question d’éducation, de responsabilité et de conscience citoyenne, individuelle, personnelle, ainsi que de politique sociale culturelle et éducative.

3- Il faut aussi s’intéresser aux détenteurs de capitaux : qui sont-ils et quelles sont leurs motivations ? Ce ne sont pas en majorité des grandes fortunes ni même des « capitalistes » (qui cherchent à dominer par leur pouvoir sur le capital), mais, pour les sociétés cotées, des fonds de pension, des investisseurs institutionnels, qui placent des primes d’assurance, les économies des épargnants, souvent de classes moyennes, qui défendent leurs intérêts en réclamant certes des rentabilités les plus élevées possibles ou en tout cas le meilleur rapport rentabilité/risque/liquidité de leur capital, face à cette concurrence. Parfois, les détenteurs de capitaux sont les clients de l’entreprise (mutuelles d’assurances ou bancaires) ou les salariés/producteurs (coopératives), et pour les TPE ou PME non cotées les créateurs d’entreprises, les entrepreneurs. Dans ce cas les intérêts des clients, des salariés, de l’entrepreneur ou du producteur sont pris en compte dans les décisions de l’actionnaire puisqu’ils sont partie prenante. Signalons notamment que le système bancaire et d’assurance français est très fortement mutualisé et pourtant, les investisseurs institutionnels et les banques sont très critiqués dans leur comportement profiteur et prédateur. Par exemple, le Crédit Agricole est à la base un réseau mutualiste de Caisses locales regroupées en Caisses régionales partageant des services communs et investissant dans des filiales communes de services spécialisés, dont des services de banque d’investissement et de marché (CA-CIB), de même que BPCE (Fusion des Caisses d’Epargne et des Banques Populaires qui ont une filiale commune, Natixis, spécialisée dans les marchés). Ces groupes ont monté une structure capitalistique qui garantit plus de 50% du capital et la majorité de vote aux actionnaires principaux, aux caisses locales, elles-mêmes détenues par les clients, et ont en même temps utilisé la bourse, au travers un véhicule coté, pour lever des fonds d’investisseurs sur les marchés afin d’accompagner leur croissance avec un effet de levier. On peut constater que malgré la structure garantissant une représentation des actionnaires initiaux, eux-mêmes représentant les clients, les décisions prises ont favorisé le développement d’activités risquées et même spéculatives, occasionnant des pertes importantes lors de la dernière crise, sans doute plus par inconscience des risques pris.

4- La détention du capital par l’Etat, par des acteurs publics, ne garantit pas forcément une défense de l’intérêt public, notamment si l’Etat est dirigé par une oligarchie elle-même compromise avec des intérêts privés ou des intérêts politiques électoraux, elle peut conduire à la même gabegie, comme on l’a vu avec le scandale du Crédit Lyonnais, utilisé comme un outil de banque industrie par un gouvernement socialiste, qui sous pression d’élus locaux ou d’autres intérêts privés (Bernard Tapie par exemple, ou MGM,…) a accordé de multiples prêts ou fait de multiples investissements qui se sont avérés pourris. Au final c’est le contribuable qui paie les frais de ces mauvaises décisions.

De plus, alors que l’auteur s’oppose au traité de constitution européenne au motif qu’il favorise cette dé régularisation et cette libre concurrence dans la mondialisation, je dirais qu’il faut distinguer d’une part le traité constitutionnel sur le mode de fonctionnement et de gouvernance permettant d’assurer une meilleure démocratie, de meilleurs processus décisionnels à 27 pays, d’autre part le contenu de la politique européenne, de sa politique commerciale communautaire et à ses frontières. Malheureusement une certaine ambiguïté demeurait sans doute dans ce traité …J’étais favorable au traité pour régler le premier point, sans lequel il est impossible de conduire une politique d’harmonisation fiscale et sociale, un véritable gouvernement économique. L’Europe évolue et les pays européens tirent des leçons de ces crises et des effets pervers de la mondialisation. Le renforcement de l’Europe doit être un outil pour orienter la mondialisation, améliorer la régulation, établir un « protectionnisme raisonné et équitable » aux frontières en imposant aux pays importateurs des normes sociales et environnementales, en taxant ceux qui ne respectent pas un niveau minimum. Ce n’est donc pas à mon avis parce que la Commission européenne a jusqu’ici érigé la libre concurrence en dogme aveugle qu’il faut se détourner de l’Europe, bien au contraire ! Il faut la renforcer en la réorientant vers plus de coopération et de défense des intérêts généraux, des biens publics, vers plus de justice. Dans la mondialisation, l’Union fait la force.

Après nous avoir livré un diagnostic et une critique implacable du modèle économique et social basé sur le capitalisme néolibéral et une pseudo démocratie où les gouvernements se paient la tête des citoyens, Jacques Généreux propose de suivre quatre axes de réforme (page 131) :

1- Abolir le pouvoir exorbitant des gestionnaires de capitaux et partager le pouvoir entre tous les acteurs de la production (détenteurs de capitaux +entrepreneur +salariés +collectivités locales) ;
=> plus facile à dire qu’à faire. Ne vaut-il mieux pas inciter les entreprises à évoluer vers des structures plus coopératives et mutualistes, en incluant les clients, les consommateurs des produits ou services dispensés, tout en garantissant la représentativité syndicale des salariés et une gouvernance d’entreprise transparente et démocratique, avec une incitation réglementaire et fiscale ?

2- Eriger le financement de l’économie en bien public réglementé, produit ou encadré par des institutions financières publiques ;
=> la détention publique du capital n’est pas une garantie, que ce soit pour une entreprise ou pour une banque, comme le montre le scandale du Crédit Lyonnais ou le cas de la Chine avec ses SOE (State Owned Enterprises). Je suis plutôt favorable aux structures mutualistes, avec interdiction de l’activité pour compte propre (trading spéculatif) sans pour autant interdire de faire des opérations de marchés pour compte de clientèle, au service de leur économie réelle, si possible en utilisant les marchés organisés prémunissant du risque de contrepartie, ou en séparant capitalistiquement les activités bancaires commerciales de dépôts/crédits à la clientèle d’un côté et les activités de marchés et d’investissement de l’autre.

3- Adopter une politique de revenus réduisant fortement les inégalités et autorisant chaque citoyen à vivre décemment de son travail ;
=> Oui, mettons des bornes aux écarts de salaires et une répartition équitable des gains de productivité, des profits, entre les partenaires de la production. Mais si on a fait évoluer la gouvernance de l’entreprise avec un partage du pouvoir, les actionnaires majoritaires étant les acteurs de production, cette décision relève d’eux-mêmes.

4- Refonder les relations économiques internationales sur la coopération solidaire des peuples au sein d’instances de réglementation des échanges et de stabilisation des taux de change.
=> Oui, mais en renforçant l’Europe, pas contre l’Europe … et en organisant le monde par grandes régions homogènes en termes de niveaux de vie, de protection sociale, de culture, qui devraient s’imposer une autosuffisance alimentaire, une localisation minimum de production agro-alimentaire et énergétique, un partage de l’eau et de certaines ressources vitales de matières premières considérées comme biens publics, un minimum d’échanges intra-communautaire (de l’ordre de 80% comme le préconisait Maurice Allais), et en acceptant au niveau mondial un « protectionnisme raisonné et équitable » entre ces grandes régions, en mettant fin au pillage des ressources de l’Afrique qui ne bénéficie pas aux populations, au rachat massif des terres arables d’Afrique par certains pays qui pratiquent ainsi une nouvelle forme de colonisation en en chassant les populations indigènes, en créant une monnaie mondiale alternative au dollar, qui pourrait fonctionner sur le modèle de l’ancien ECU (panier de monnaie) et servant de monnaie d’échange et de réserve,…

Jacques Généreux semble aussi croire que cette domination du monde, de l’économie et des Etats, est volontairement organisée, orchestrée, par quelques puissances financières, par une minorité de capitalistes fortunés et désireux de poursuivre et d’étendre leur pouvoir vampire et prédateur sur le dos de la misère humaine. Je ne crois pas pour ma part à une théorie du complot, de domination par un rapport de force volontairement destructeur. De plus, ce sentiment incite à se faire justicier en provoquant des réactions violentes, en invitant à stigmatiser certaines professions, à couper des têtes, à brûler les banquiers comme on brûlait les sorcières, …Comme dans le cas des conflits d’intérêts, qui mettent en situation de générer une prise illégale d’intérêt, un système complètement dérégulé dans la mondialisation, avec de surcroît persistance des paradis fiscaux, érigeant la recherche du profit avant tout sous faible exigence sociale, laisse forcément la porte ouverte à des dérives, au moins disant fiscal et social, sans que ce résultat ait forcément été voulu par les acteurs qui en ont profité. Je pense que la réinstauration dans le système d’un pacte social et républicain comme il y a eu après guerre en France, en Europe, aux Etats-Unis, de normes communes sociales et environnementales, de forte régulation financière, de limitation de la spéculation et d’interdiction des paradis fiscaux, d’encadrement très strict des hedge funds, de mise en commun de certains biens publics concernant l’eau, l’énergie et de certaines ressources en matières premières, sont plutôt la solution. Tout en reprenant le problème sur le plan des valeurs, par l’éducation, le dialogue, le débat citoyen, l’éveil de la population au civisme, à la conscience et à la responsabilité citoyenne. Privilégier la relation humaine et le progrès humain (comme le dit d’ailleurs Jacques Généreux) plutôt que l’appât du gain, les valeurs matérielles, d’excès de consommation et d’apparence, des marques, du look, du vedettariat et du star-system.

… A suivre prochainement (partie 2)

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François Bayrou : « Il faut de la vérité. Ce n’est pas seulement une vertu morale, c’est une philosophie de l’action »

Dimanche, en clôture des universités de rentrée du Mouvement Démocrate, placées sous le signe de « l’espoir et des valeurs », François Bayrou a prôné « trois révolutions » : celles de la vérité, de la simplicité (priorité à l’éducation des enfants et à la reconquête de la production pour la relocaliser si possible en France) et de la démocratie, pour changer la société française en 2012.

Je voudrais en particulier développer l’exigence de vérité, car elle est essentielle, tout commence par là, elle est même une « œuvre d’action politique » comme le disait Hannah Arendt, et c’est à la fois une affaire des citoyens, des politiques et de la presse et des médias, par leur curiosité et leur investigation, leur action pédagogique dans l’analyse comparée des faits, des opinions, des expériences des autres pays.

Comparé à Jacques Chirac, que les Guignols qualifiaient de « super-menteur », Nicolas Sarkozy est largement un « hyper-menteur », de même que plusieurs membres de son gouvernement. Qui avait promis de ne pas toucher à la retraite à 60 ans ? Qui avait promis que GDF ne serait pas privatisé ? Qui avait promis le pouvoir d’achat ? Qui a dit que les paradis fiscaux, c’était fini (n’est-ce pas Madame Bettencourt !) ? Qui avait assuré à la Commission européenne que la politique sécuritaire ne ciblait pas les Roms ? qui avait promis qu’il ne connaissait pas Patrick de Maistre, puis ne l’avait pas appuyé pour la légion d’honneur ? Qui avait approuvé la proposition d’un jugement par un arbitrage privé en faveur de Bernard Tapie alors que la Cour de Cassation avait déjà rendu un verdict défavorable et que la Justice aurait dû suivre son cours et nous promettait que en final Bernard Tapie ne toucherait « que » 20 à 30 millions d’euros alors qu’il en perçoit finalement 220 ? …

Face à ces mensonges de la droite UMP, il y a aussi ceux de la gauche, du PS, qui entretient les Français dans l’illusion, les promesses de redistribution (des « petits pains au chocolat » comme dit Jean-François Kahn dans sa chronique du dernier Marianne), de hausses d’impôts multiples, l’illusion d’un retour à la retraite à 60 ans, sans préciser que ceux qui feraient encore ce choix sans disposer des annuités donnant droit à un taux plein, se verraient très lourdement pénalisés, d’autant plus que le PS prône un alourdissement de la décote !

La vérité sur le déficit, la vérité sur la situation de la France, sur ses capacités, sur son retard éducatif de plus en plus prononcé, et sur les retraites, sur les abus de pouvoir, sur les conflits d’intérêt entre les intérêts publics et les intérêts privés, c’est bien François Bayrou et ses compagnons de route Marielle de Sarnez, Jean Peyrelevade, Jean-Jacques Jégou, Robert Rochefort etc. qui l’ont dite, qui n’ont pas eu peur de la dire, ni de faire des fausses promesses aux Français.

La vérité sur les faits dans la presse s’est surtout exprimée grâce à quelle presse ? Mediapart (affaire Tapie, Pérol, Bettencourt,Karachi,…), Marianne et Le Canard Enchaîné. Comme par hasard, seuls journaux vraiment indépendants …

Il faut redonner l’espoir sans pour autant bercer le peuple d’illusions. Il faut être optimiste sans cacher la vérité. Ne pas attendre passivement que la croissance revienne, en laissant croire que le plan de relance tout seul va être capable de créer des emplois sur fond de désindustrialisation et de délocalisation non seulement industrielle mais aussi des services, en entretenant l’illusion qu’un simple renfort de régulation va sécuriser les marchés dans la mondialisation.

Comme peut l’être une personne, la société dans son ensemble est malade. Elle souffre d’un mal physique : réchauffement climatique, pollution et détérioration non seulement de l’environnement mais aussi de la santé humaine, pandémies, faim, cancer, Alzheimer,… Elle souffre surtout aussi d’un mal psychologique, d’un mal être, d’absence de repères, de perte de confiance aussi, de problème de mémoire, du zapping permanent dans l’instantanéité. Elle ne sait plus où elle va car elle ne sait plus d’où elle vient. La recherche de liberté individuelle et du confort personnel s’est accompagnée d’une affirmation et même d’une revendication de la priorité des valeurs matérielles et a renforcé l’individualisme, le chacun pour-soi, institutionnalisant la contribution sociale à la solidarité en la déléguant à l’Etat avec un délitement progressif du lien social qui était fait d’entraide naturelle, de dialogue, de relations humaines.


Comme chez l’être humain, une société, un peuple, a une mémoire, traduite dans son histoire, les livres, les films, les archives, la pierre. Elle a aussi un inconscient, un ressenti et des non-dits, forgeant des comportements, formant des courants qui convergent sans que chaque être qui la compose n’en soit forcément conscient lui-même, formant des courants historiques (les guerres de religion, la Renaissance, les lumières, la révolution française, montée du nazisme, totalitarisme, la société de consommation,…) et dessinant aussi les grands tournants et l’avènement de contre-courants (révolution française, résistance, chute du mur de Berlin,…). Aujourd’hui, la récente crise financière, concomitante avec la prise de conscience de la crise écologique du réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources terrestres, la crise énergétique, alors même que les moyens manquent, que les dettes deviennent insupportables et pénalisent les générations futures, nous ont conduit à un comportement de culpabilisation, de stress, de déprime. Les gouvernants cherchent à rassurer en minimisant les données de crise, en se félicitant de leurs vaines ou insuffisantes actions. A force de repousser l’échéance des problèmes, de mentir et de ne pas tenir leurs promesses, les politiques ont perdu la confiance des citoyens, laissant la place au désintérêt politique, à l’abstention, au renoncement. Les citoyens votent de moins en moins, désertent de plus en plus les partis politiques et s’en moquent.


La société est malade. Or pour un être humain qui souffre, il y a les psychologues, les assistantes sociales, les médecins … Pour la société et l’humanité dans son ensemble, il y a d’un côté des philosophes et des sociologues qui essaient d’analyser et de comprendre les maux, de l’autre des partis politiques et des hommes ou des femmes politiques qui montrent (ou essaient de montrer …) un remède ou un chemin à suivre. Mais il n’y a pas de médecins ou de psychologues pour soigner la société globalement en profondeur, à la source, l’apaiser, la calmer, l’aider à sortir de la déprime. Si ce n’est le divertissement, le jeu, le sport spectacle, qui aident à oublier les maux (Pascal l’avait très bien prophétisé).


Or pour soigner un mal psychologique, plutôt que le cacher en cherchant à l’oublier, la première chose à faire est la recherche de la vérité, savoir d’où vient le mal, prendre conscience de ce qui a provoqué les symptômes. Pour cela, au niveau global d’une société, les philosophes, les anthropologues et les sociologues sont d’une aide précieuse. Mais la vérité est aussi l’affaire des journalistes, des métiers d’information, ainsi que des politiques. Les Français attendent qu’on leur dise la vérité. La vérité sur leurs risques de santé, la vérité sur le risque d’approvisionnement énergétique, la vérité sur les finances publiques et ce que signifient la dette abyssale et notamment des déficits sociaux devenus insoutenables, et leur conséquence… Savoir si ces risques étaient prévisibles, alors pourquoi n’a-t-on rien fait ou si peu fait ?

Aujourd’hui, la presse relaie des informations déjà pré mâchées, des dépêches et des annonces, rapidement, l’une succédant à l’autre et faisant oublier la précédente, une information plus ou moins copiée sur l’autre. Peu de temps pour l’analyse, peu de temps pour la réflexion, pour la recherche des causes et l’évaluation des conséquences, peu de motivation pour la critique et la comparaison des vérités. Or la première tâche des journalistes est de fournir de l’information sur des faits justes et pas seulement l’information délivrée par les canaux officiels. C’est la moindre des choses qu’ils doivent aux citoyens dans une démocratie. Et lorsqu’un homme politique s’exprime sur une crainte, par exemple sur le problème des sondages manipulés par l’Elysée, des médias sous contrôle des puissances financières, les modes de scrutin majoritaires nuisant à la représentation démocratique, etc., c’est de vérifier les faits et au vu des faits comparer les points de vue, ce qui se pratique dans les autres pays. Plutôt que prendre des critiques ou des craintes exprimées comme l’expression d’une manœuvre politicienne.

Les journalistes ont une responsabilité immense dans l’équilibre de la démocratie, l’information et la formation du peuple, dans la formation de sa conscience et de sa responsabilité, du discernement et de son sens critique, comme dans la gestion de sa déprime et dans la confiance de la société en elle-même et dans la politique. La manière dont ils couvrent les faits, en rendent compte ou au contraire les occultent, oriente le sentiment général de défiance ou de confiance, de confusion ou de clarté, de mensonge ou de vérité, de malaise ou d’harmonie.


Le devoir de la presse et des médias en général devrait donc être d’abord celui de toujours rechercher et de dire la vérité des faits. Le deuxième est celui de rendre compte de l’analyse comparée de ces faits, de leurs causes et de leurs conséquences, de les relativiser dans le monde qui nous entoure. Sur les questions de réformes de loi électorale et d’organisation territoriale, sur le système de santé et de retraite, sur le financement de la recherche, etc. Ainsi, expliquant simplement aux français ce qui est fait dans d’autres pays, la presse donnerait une vision moins étriquée des problèmes de notre pays. Le troisième serait à mon avis de favoriser et d’organiser plus fréquemment des débats entre les partis, les experts de la vie civile, les représentants des professions, des syndicats et des associations, sur des questions de fond et en rendre compte aux citoyens.  Car non seulement nous sommes en manque de vérité, mais aussi en manque de dialogue et de consensus. Même le Parlement n’est plus un lieu de débat ni de consensus, mais il est devenu une chambre d’enregistrement des décisions prise par le gouvernement …


Mediapart avec Edwy Plenel est dans cet esprit, de même que Marianne et Jean-François Kahn qui organisent des débats à thème, et certains think-tanks qui ont cherché à combler ce vide. Merci à eux, mais faut-il encore que leurs travaux soient publiés et relayés par la presse.

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Faut-il et peut-on supprimer la spéculation ?

Face à la crise financière devenue économique, le diagnostic qui en est fait a posteriori par les professionnels, les économistes comme par les sociologues et les politiques, converge à la fois sur ses causes conjoncturelles (déclenchement par l’éclatement de la bulle financière spéculative des crédits immobiliers subprime américains, avec amplification grâce à la titrisation, négligence ou complicité des agences de notation, déficience de régulation, …) et sur ses causes structurelles (financiarisation de l’économie, culte du profit, spéculation à court terme, économie de marché non suffisamment régulée dans la mondialisation, diktat des marchés et des traders au détriment de l’économie réelle, …).

 

Nous sommes à présent dans la phase des propositions, des recherches d’alternatives. Si le capitalisme perverti par la financiarisation de l’économie, appelé « néocapitalisme », est fortement critiqué et offre à  la gauche un grand boulevard par retour brutal de balancier, personne ne propose cependant de revenir à un système communiste. Parmi les penseurs et économistes dits « de gauche » sont de plus en plus évoquées la suppression de la spéculation et la nationalisation des banques (Frédéric Lordon souhaite ardemment leur nationalisation à coût zéro lorsque leurs valeurs se seront effondrées suite au dénouement inéluctablement catastrophique de la crise des dettes publiques des Etats). Certains comme Paul Jorion prônent la suppression des « paris sur les prix » (ce qui signifie en langage financier les opérations à terme, les ventes à découvert, mais aussi les contrats de futures et d’options, de change, de taux ou d’actions, que les contrats soient réalisés en gré à gré ou sur marchés organisés, ainsi que les CDS, contrats d’assurance sur les risques de défaillance d’entreprises). Voir le très intéressant débat animé par Jean-François Kahn le 28 juin 2010 avec notamment ces protagonistes, sur le thème de la réforme du système financier international (environ 2 heures par tranches de 20 mn).

 

Pour répondre à la question « peut-on supprimer la spéculation », il convient de définir ce qu’est la spéculation, en quoi elle est utile ou nuisible, et sur ses aspects nuisibles comment elle peut être contenue, faut-il agir sur les spéculateurs, sur les produits financiers utilisés par les spéculateurs, sur les outils du marché (la bourse) ou encore sur les entités comme les banques, les hedge funds, où sont logées des activités spéculatives ? Comment le faire sans empêcher l’économie de fonctionner, sans nuire aux clients finaux qui utilisent la bourse et les produits financiers à des fins non spéculatives, mais pour se financer et couvrir des risques ? Ne vaut-il pas mieux décourager la spéculation par la fiscalité, en taxant les opérations spéculatives, les profits financiers et les bonus des traders ?

 

Qu’est-ce que la spéculation financière ?

 

On parle d’une opération financière ou commerciale « spéculative » lorsque cette opération a pour objectif de réaliser un gain d’argent en pariant sur la fluctuation des cours du marché. En fait c’est surtout l’intention de parier sur un prix et non la nature de l’opération qui importe, car une même opération peut être réalisée dans une autre intention, celle de couvrir un risque : par exemple un agriculteur qui veut garantir par avance le prix de vente de sa récolte de grain sans savoir quels seront les prix dans six mois, sans savoir quels seront les aléas climatiques. Face à lui, il trouve sur le marché un acheteur de grain qui souhaite aussi se prémunir de variations de prix, afin de garantir une stabilité de prix au consommateur final. De même une entreprise qui s’est financée à taux variable et souhaite se couvrir contre le risque de hausse des taux, pourra avoir recours à un contrat de future ou d’option de taux.

 

Supprimer les « paris sur taux ou sur prix » reviendrait à priver les clients finaux de ces avantages de couverture de risque. Il est donc préférable si on souhaite limiter la spéculation, d’autoriser ces clients à pouvoir utiliser ces instruments pour se couvrir.  Il est possible en revanche de limiter les interventions des acteurs sur les marchés, s’ils n’ont pas un objectif de couverture, mais le dispositif de validation et de contrôle risque d’être complexe, lourd et coûteux.

 

Faut-il supprimer les bourses ? Quelle est la différence entre les opérations de gré à gré et les opérations réalisées en bourse ou sur marchés organisés ?

 

Il y a deux façons de pouvoir recourir à ces instruments à des fins de couverture ou de spéculation :

 

         faire une opération de gré à gré (OTC, Over The Counter, en anglais) avec une contrepartie, avec une banque (contrat entre deux contreparties garantissant un prix ou un taux convenu d’avance). Les swaps de change et de taux, les FRA (Forward Rate Agreements), les options, les CDS peuvent être conclus en bilatéral de gré à gré. L’inconvénient de ces contrats est d’une part la prise de risque par la contrepartie du client (la banque), qui elle-même doit se couvrir pour neutraliser le risque qu’elle prend, d’autre part l’opacité, la non transparence des positions prises (les régulateurs et les acteurs de marché, les banques elles-mêmes, étaient lors de la crise fin 2008 dans l’impossibilité de mesurer toutes les positions des CDS chez les banques et les risques pris par ces dernières entre elles, ce qui a accéléré la crise de confiance et donc de liquidité, les banques n’osant plus se prêter entre elles) ; les risques de ce types de contrats peuvent être éventuellement limités par des dépôts de garantie (collatéral) ;

         faire une opération sur un marché organisé, une bourse d’échange de contrats où un acheteur. Ce type de marché (par exemple le CME, CBOT, le Liffe,…) a été d’abord créé pour les matières premières, les denrées alimentaires et agricoles, les métaux précieux, puis a été étendu aux devises (futures et options de change) et aux produits financiers d’actions, d’obligations, de bons du trésor. Chaque intervenant sur ce marché doit faire un dépôt de garantie, une avance de trésorerie, afin de payer les pertes éventuelles réalisées entre la valeur à laquelle il a traitée de contrat et la valeur quotidienne du marché (en sens inverse le compte est au contraire crédité). Si l’acteur ne peut plus continuer à payer, il est obligé de solder sa position et ne peut plus continuer à jouer. Tous les intervenants sont garantis de fait du risque de défaillance d’un autre intervenant de ce marché. De plus, toutes les positions des uns et des autres sont enregistrées, peuvent être connues des régulateurs. Pour traiter sur un tel marché, un client doit détenir un compte chez un compensateur (courtier, banque) qui lui-même détient un compte auprès de la chambre de compensation.

 

Pour les puristes, nous distinguons le terme de « bourse » et le terme de « clearing house » (chambre de compensation sur « marché organisé »). La bourse fait référence à la plate-forme sur laquelle se fait la négociation, la prise d’ordre à un prix entre un acheteur et un vendeur (front-office). Alors que la compensation est l’étape dite « post-marché » (back-office) qui réalise l’appariement des ordres pour valider l’échange entre le titre et le cash par exemple entre deux contreparties et enfin la comptabilisation en compte jusqu’au clearer, banque ou broker. Les dépôts de garantie (deposits) et les appels de marge quotidiens (margin calls) sont gérés par la chambre de compensation. Les bourses, comme les chambres de compensation, facilitent le marché, en sont un instrument, mais ne sont pas synonymes de spéculation. La spéculation s’exerce aussi bien via ces instruments que hors ces instruments en gré à gré. Les supprimer reviendrait à ne plus permettre aux clients de couvrir leurs risques même s’ils ne font pas de spéculation et les spéculateurs pourraient aussi continuer à spéculer en gré à gré …

 

Il est en tout cas préférable de passer par les marchés organisés plutôt que en gré à gré pour limiter les risques et garantir une transparence des positions. Malheureusement, tous les produits financiers ne sont pas traités par les marchés organisés. Ce n’était pas le cas des CDS par exemple. Il faut donc généraliser l’utilisation de ces marchés, créer de nouveaux instruments qui correspondent à ceux traités en gré à gré et répondant aux besoins de clients. Certains prônent la suppression des CDS. Alors qu’il est intéressant pour ceux qui détiennent des titres de pouvoir aussi se couvrir à la baisse sur ces titres. S’ils n’avaient pas l’outil CDS, ils n’investiraient pas tant dans ces titres. Cela pourrait raréfier la liquidité des titres souverains par exemple, alors même que les Etats ont besoin d’en émettre pour financer leur dette publique.

 

Qui sont les spéculateurs ? Sont-ils utiles au fonctionnement du marché ?

 

Les spéculateurs, qui parient sur des prix ou des taux en espérant gagner sur la différence de prix, peuvent être des personnes privées, ou des personnes morales (notez le paradoxe de la formule …) : des banques ou des fonds d’investissement spéculatifs (hedge funds ou private equity funds).

 

Pour qu’un client qui souhaite couvrir un risque trouve facilement contrepartie sur le marché, que ce soit en gré à gré (accord bilatéral) ou sur un marché organisé ou une bourse, il doit trouver un autre qui a envie de faire l’opération en sens inverse. Il ne trouve pas forcément à la minute un autre intervenant final, qui a aussi cet objectif de couverture. Des acteurs servent d’intermédiaire en acceptant de prendre position à un certain prix momentanément, acceptant aussi de faire des opérations en sens inverse. Ainsi, les banques, des courtiers (brokers) ou les teneurs de marché (market-makers), cotent en permanence des produits financiers ou de matières premières, avec une fourchette de prix (spread) affichant un bid/offer, à la fois un prix d’achat et de vente. Ces intervenants peuvent limiter leur position pour ne pas prendre trop de risque ou les couvrir sur des marchés équivalents en terme de risque (arbitrage). Ils gagnent ainsi globalement sur l’écart de prix appliqué au volume traité. Ces acteurs contribuent à la liquidité du marché, c’est-à-dire à sa fluidité, à la garantie pour les clients de trouver contrepartie face à eux. On ne peut pas qualifier cette activité de spéculation si les positions nettes sont relativement limitées, clôturées ou presque en fin de journée. Mais si une banque conserve des positions ouvertes importantes, elle prend un risque qui peut alors mobiliser des fonds propres, conformément aux exigences réglementaires de Bâle. Si ces fonds propres sont partagés avec des activités commerciales, une ponction sur ces derniers pour combler des pertes pourra nuire aux activités commerciales de la banque, l’empêchant de continuer son activité de prêts classiques aux clients, voire compromettre les dépôts des clients. C’est pourquoi il serait plus sain de séparer capitalistiquement les activités de banque commerciale/dépôt et les activités de marchés risquées. C’était l’objectif du Glass-Steagle Act qui avait été instauré aux Etats-Unis après la crise de 1929 et abrogé en 1999 lors de la vague de dérégulation des marchés. Cependant, le contexte a évolué et les opérations de marchés peuvent tout à fait être cotées aux clients par des banques commerciales, en couverture de prêts classiques faits pour les mêmes clients, en gré à gré, et être couvertes quasi systématiquement sur marchés organisés de préférence, sans pour autant engendrer des positions spéculatives en compte propre. C’est plutôt la logique qu’il faudrait à mon avis cibler : limiter les positions pour compte propre des banques. Ceci limiterait également la fonction de trader à une activité de vendeur clientèle et teneur de marché. C’est ce que j’ai préconisé dans cette chronique publiée sur LeMonde.fr.

 

En dehors des banques, qui ne sont pas forcément des spéculateurs si elle limite leurs positions ouvertes, ou le sont sans le savoir si elle ne contrôlent pas correctement leurs positions et leurs risques notamment en cas de fraude ou de dissimulation volontaire (affaire Kerviel), des spéculateurs purs peuvent jouer de leurs propres deniers sur ces marchés : les fonds spéculatifs, de même que des personnes privées. Faut-il interdire à ces acteurs de prendre des positions sur opérations financières si après tout ils ne risquent que leur argent ? Pour répondre, il faut être conscient de la nuisance potentielle de ces acteurs :

1-     Ils accélèrent la hausse ou la baisse de prix ou de taux en aggravant une situation (dette publique grecque par exemple). Les marchés sont moutonniers. Ce qui importe pour un spéculateur, ce n’est pas le prix réel économique du bien, c’est anticiper le prix que le marché attend. Il a tendance à suivre la tendance haussière ou baissière. Mais en vendant une valeur en baisse en vue de la racheter moins chère plus tard, il accélère sa baisse … Ce phénomène a été lourdement aggravé par la mise en place des trackers, des automates informatiques ;

2-     S’ils pèsent de façon importante sur le marché et ont traité en gré à gré avec des contreparties, des banques, une défaillance de ces acteurs met ces contreparties en risques (effet de domino, réaction en chaîne). Il est donc fortement déconseillé de permettre à une banque d’investir dans un fonds spéculatif et même de prêter à un fond spéculatif. Elle se met non seulement en risque sur ses fonds propres, mais également ses autres contreparties par effet de contagion, engendrant un risque systémique. Il faut dénoncer les situations déviantes où des banques ont prêté des fonds à des hedge funds qui en contreparties apportaient des fonds propres à ces banques créancières, sachant l’effet de levier important réalisé (la banque peut prêter en gros en moyenne 12 fois ses fonds propres pour respecter un ratio FP/engagements de 8%) !

3-     Autant un pays peut interdire les fonds spéculatifs chez lui, il ne pourra pas les interdire ailleurs et ces derniers pourront à leur gré réaliser des opérations dans le pays ou sur des produits financiers concernant le pays qui peuvent perturber ses marchés ou des entreprises du pays (spéculation sur la dette grecque, les CDS, etc.). Il est possible néanmoins d’interdire aux banques du pays de traiter avec des fonds spéculatifs, de même qu’avec les paradis fiscaux, les Etats dits « non coopératifs ».

 

Faut-il nationaliser des banques ? La nationalisation des banques est-elle une solution contre la spéculation ?

 

Le raisonnement sous-jacent à la théorie de ceux qui prônent la nationalisation des banques est la suivante : la spéculation financière est la cause du développement et de l’éclatement des bulles financières, ainsi qu’un facteur aggravant des crises. La spéculation financière est exercée par les banques, encouragée par la recherche effrénée du profit, par les traders dont c’est l’objectif, ainsi que par les actionnaires dont l’objectif est celui d’une rentabilité financière maximale à court terme. Si les actionnaires étaient l’Etat, ce dernier serait mandaté pour avant tout satisfaire un objectif de service public d’intérêt général, qui est de fournir à des clients de la liquidité, des financements, des opérations de change, des produits de placements, à un prix raisonnable. Mais pas pour faire du profit.

 

Le problème, c’est que ce raisonnement, partiellement exact, ne tient pas sur plusieurs aspects :

1-     Le point qui peut valider cette théorie est que l’Etat va interdire à son établissement de spéculer pour son compte. Ce n’est pas sa vocation de spéculer. Il ne cherche pas à prendre des risques au-delà de ceux nécessaires pour rendre service aux clients. Cependant, cette interdiction de spéculer pourrait très bien être faite à des banques sous capitaux privés, au travers de la réglementation, sans les obliger à être sous capitaux publics;

2-     la prise de risque exercée par un établissement bancaire qui prête à un client, qui s’engage financièrement vis-à-vis de ce client (cela peut-être aussi sur des opérations de couverture de change ou de taux), exige une rémunération répondant à une logique d’assurance, basée sur des statistiques, basées sur la connaissance du client. Si l’Etat cherche à favoriser tel secteur de l’économie, tel acteur, au mépris des critères de risque et de rentabilité, il y a réel danger que d’une part il y ait confusion ou collusion  entre les intérêts politiques et l’intérêt de la clientèle, du favoritisme (soutien d’entreprises ou de personnes qui elles-mêmes soutiennent le parti au pouvoir, ou satisfaisant des élus locaux) et une déresponsabilisation en termes de prise de risques. C’est en fait ce qui s’est passé avec le Crédit Lyonnais, les participations que la banque avait prises directement ou au travers de Altus Finance, une filiale spécialisée, avec l’incitation de son président de l’époque, Jean-Yves Haberer, qui était en ligne directe avec le ministre des finances Pierre Bérégovoy. Le gouvernement, grâce à son outil financier, s’est lancé dans la « banque-industrie », insistait pour soutenir certaines entreprises, certains secteurs. Cette politique a mené au désastre qui a coûté environ 100 milliards de francs (15 milliards d’euros, 8 en net après prise en compte des recouvrements et de la privatisation) au contribuable. Ce n’est pas en soi  la spéculation qui a mené la banque à la faillite, mais des investissements risqués et mal gérés … Nous avons déjà vécu l’expérience du système bancaire nationalisé et ce n’est pas la panacée. Dans les pays qui ont nationalisé des banques de manière quasi forcée, quand l’Etat est venu à leur secours pour les recapitaliser, en Finlande dans les années 1990 comme récemment en Grande Bretagne, c’était plutôt considéré comme une situation provisoire. L’Etat peut en tant que régulateur imposer aux banques des contraintes, limiter leur activité spéculative, la taxer. N’est-ce pas suffisant sans en arriver à un système collectiviste d’économie étatisée ?

3-     La nationalisation du système bancaire serait de plus extrêmement coûteuse, si l’Etat devait racheter les actions des banques à leur prix actuel. Attendre que leur prix baisse en souhaitant la ruine des banques comme le fait Frédéric Lordon me paraît sinon illusoire, irresponsable.

 

Il faut aussi remettre l’activité financière et bancaire dans son contexte global mondialisé. Toute décision fiscale ou réglementaire peut inciter des acteurs à s’installer ailleurs pour exercer ses activités, de même que les clients peuvent recourir à des services bancaires off-shore, de même que traiter sur des bourses ou marchés étrangers. Comme pour traiter le problème des paradis fiscaux, ces questions de régulation financière et de fiscalité de ces activités devraient être abordée par la communauté internationale. Malheureusement, même si le G20 a multiplié les annonces, les intentions, il n’a pas été très efficace.

 

Certains pays ont pris l’initiative : Angela Merkel a interdit en Allemagne les ventes à découvert. Barack Obama et son équipe ont réussi à faire voter au Congrès une réforme financière aux USA qui limite l’activité pour compte propre des banques en les obligeant à loger certaines activités (swaps sur matières premières, CDS)  dans des filiales séparées et capitalisées, limitation de la participation des banques dans les fonds spéculatifs, obligation à passer les opérations dérivées de gré à gré sur des chambres de compensation,…). L’Union européenne à la peine est en retard mais va probablement aller dans le sens des mesures américaines qui, même si elles présentent des « trous d’air », sont une avancée pour non pas supprimer, mais au moins contenir la spéculation financière et limiter les risques.

 

Conclusion :

 

Il n’est pas raisonnable et illusoire de penser que l’on puisse supprimer complètement la spéculation. La spéculation n’est pas nuisible si elle est limitée, contenue, par la réglementation, par une redéfinition du rôle des banques, en interdisant aux banque commerciales ou de dépôt non pas de faire des opérations de marchés avec leur clients mais en limitant l’activité de trading en compte propre sur ces instruments et en se couvrant auprès des marchés organisés qu’il faut étendre en termes d’instruments, notamment concernant les CDS. Il faut leur interdire aux banques de prêter aux fonds spéculatifs, de faire avec ces derniers des opérations de gré à gré de même que prendre des participations à leur capital. Pour tous les acteurs, l’interdiction des ventes nues à découvert, décidée par l’Allemagne est une bonne mesure également pour limiter la spéculation nocive. Par ailleurs, une fiscalité spécifique sur les activités spéculative, sur les profits de marché ou sur le trading compte propre, peut aussi être un facteur dissuasif à la spéculation. Une taxation de type « taxe Tobin » sur les transactions financières est un « grain de sable » qui peut rendre moins attrayant les opérations spéculatives à petits gains (sur les automates notamment) qui multipliées en grand nombre accélèrent les effet haussiers et baissiers des marchés, donc leur volatilité et leur instabilité. Cette taxe peut en même temps être une ressources utilisée comme fonds d’assurance risque ou à d’autre fins.

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Coopération plutôt que compétition : la clé pour changer de modèle de société

Il faut changer de « modèle de société », trouver une alternative au capitalisme, dominé par la recherche absolue du profit et par la loi du plus fort au détriment de l’égalité et de la fraternité, et aussi une alternative au socialisme, dominé par l’Etat et le collectivisme au détriment de la liberté, qui tous deux ont montré leur limite. Telle est la conclusion de plus en plus évoquée par les groupes politiques, des philosophes, des think-tanks, … Mais si les diagnostics convergent, ils sont néanmoins limités par le périmètre de l’analyse (économique et écologique essentiellement, qu’il faut compléter par une analyse sociologique, psychologique, philosophique, anthropologique, sur des domaines étendus tels que l’éducation, les médias, la culture, la santé et même la politique…). Ces diagnostics convergents souffrent aussi d’un manque d’analyse en profondeur sur les causes profondes et nécessitent une approche plus globale. Enfin, ils ne sont pas suivis de réelles propositions alternatives où ces dernières restent très partielles.

 

Je suis même frappée que les éminents sociologues et économistes qui sont le plus écoutés en ce moment pour avoir alerté et prédit la crise (Joseph Stiglitz, Paul Jorion, Nouriel Roubini, Frédéric Lordon, …) axent essentiellement leurs propositions sur la nécessité d’une forte régulation, d’une suppression de la spéculation financière, du renforcement et de la redéfinition du rôle de l’Etat face aux puissances financières multinationales, d’une éventuelle nationalisation des banques, etc. sans aller vraiment plus loin. Je pense surtout à Paul Jorion, qui est anthropologue et aurait dû reprendre le sujet essentiellement sous l’angle anthropologique, de l’évolution de l’homme et des civilisations, sur ses aspirations profondes et sur la lutte pour sa survie, survie individuelle et survie de l’espèce.

 

Par le terme « modèle » de société, il faut entendre deux sens :

         d’une part la référence idéologique à un type de société, de civilisation, qui serait « idéal », une utopie qui pourrait servir de modèle, à envier, à prendre pour exemple, à cibler ;

         d’autre part la référence conceptuelle systémique à la façon de fonctionner d’un organisme, comme celui du corps humain avec son code génétique, ses cellules constituant un organes, organes eux-mêmes constituant ensemble un corps, ou comme l’écosystème, ou encore une entreprise. Quelle est la finalité du système ? Sa motivation ? De quoi se nourrit-il ? De quoi est-il composé et quelle est la motivation de ses composants ? Quels sont ses principes de régulation ?

 

Cette question du « modèle de société » doit nous interpeller dans sa globalité, pas seulement dans sa composante économique ni seulement sous l’angle écologique. L’analyse du fonctionnement de la société actuelle dans la mondialisation devrait nous conduire à remonter aux causes profondes, psychologiques, qui motivent l’être humain dans son conditionnement social et éducatif, aux dysfonctionnements structurels de la société et de l’économie dans leur organisation, en analysant les valeurs qui les motivent collectivement, leur moteur (motivation) et leurs freins (loi, régulation) et les interactions entre l’individu et la société dans laquelle il évolue.

 

Une des principales clé de la réflexion sur le moteur de fonctionnement, qui mène justement à tous ces dysfonctionnements sociaux, économiques, écologiques et même politiques, semble être la primauté accordée à la compétition sur la coopération, répondant à une logique darwinienne de la loi du plus fort. Voir à ce sujet un article que j’avais publié l’an dernier, intitulé « Pour une société plus coopérative ». Ceci est vérifié dans de nombreux domaines :

 

         En économie de marché capitaliste (basée sur la recherche du profit), la primauté est donnée à la concurrence sur un marché libre, ou devront gagner les plus forts au détriment des plus faibles. C’est cette loi que la Commission européenne met toujours en avant, au risque de casser des services publics d’intérêt général ou des logiques coopératives soupçonnées de cartellisation (par exemple dans le domaine bancaire pour des services communs de cartes bancaires ou de paiements, ou de bourse européenne,…). Le but recherché des entreprises et des individus qui composent la société est avant tout la recherche du profit et non l’intérêt général, le développement humain. L’hypothèse est d’une part l’argent fait le bonheur des hommes, d’autre part que l’optimisation par la recherche du profit conduit à la meilleure façon d’augmenter la richesse globale qui « retombe en pluie » en enrichissant la collectivité dans son ensemble, crée des emplois etc. Une régulation par la fiscalité et les lois permet par ailleurs d’assurer une sécurité publique et une redistribution minimale pour garantir une paix sociale. Mais ce système comporte plusieurs « bugs » à commencer par ses faux postulats et non vérification de ses hypothèses :

o       l’argent ne fait pas nécessairement le bonheur,

o       l’accroissement global du gâteau ne s’est pas traduit pas une retombée en pluie mais par l’accaparement des richesses créées par la minorité de personnes déjà riches et puissantes,

o       la concurrence tue la concurrence dans la mesure où la loi du plus fort dans la recherche de la meilleure rentabilité conduit à des situations de monopole, à  la concentration des entreprises, où les plus grosses deviennent les plus rentables, attirant les actionnaires à la recherche du meilleur ROE et les clients à la recherche du meilleur prix, au détriment des valeurs sociales, humaines, de la qualité, …,

o       la liberté du marché est souvent un leurre : les opérations d’initiés montrent que l’accès à l’information n’est pas le même pour tous, de même que je jeu est faussé en politique et en économie par les liaisons entretenues entre les hommes politiques au pouvoir et les puissances médiatiques et financières  (affaire Bettencourt, domination de la presse et des médias par des actionnaires en affaire avec l’Etat, …),

o       le « prix de marché » n’est pas forcément un prix d’équilibre entre une demande globale et une offre globale, mais plus souvent le résultat d’un déséquilibre entre une offre marginale et une demande marginale qui impose leur prix à l’ensemble des acteurs, ainsi que le résultat de manœuvres spéculatives artificielles.

         Dans le domaine de l’éducation, l’école et l’université : comme le titre Mediapart, « Les élèves sont victimes de la concurrence entre établissements scolaires » en faisant référence à un livre à paraître le 9 septembre « Ecole: les pièges de la concurrence ».

o       Les établissements scolaires, pour optimiser leurs résultats, privilégient la réussite de leurs meilleurs éléments et ont tendance à éliminer les faibles plutôt qu’à les tirer vers le haut ces derniers et les moyens,

o       La suppression de la carte scolaire (au motif de la liberté de choix en favorisant la concurrence entre établissements) a renforcé les inégalités et encore plus ghettoïsé les quartiers, faisant fuir les bons élèves qui étaient dans des collèges jugés moins bons, comme le montre un rapport de la Cour des Comptes,

o       La décentralisation appliquée aux universités est bonne pour ce qui est de la meilleure responsabilisation des établissements sur leur gestion opérationnelle, leur organisation, mais en revanche leur mise en concurrence et leur hyper spécialisation doublée de leur autonomie financière, à l’image des universités américaines, conduit à une inégalité des offres sur le territoire, obligeant les étudiants à déménager loin de leur famille pour suivre un cursus dans une autre région, engendrant des coûts importants, de même qu’elle aboutit à une inflation des coûts pour attirer les meilleurs professeurs et à une élévation importante des frais d’inscription, privilégiant ainsi les élèves qui ont les moyens.

         Dans les secteurs publics et notamment dans la police, au pôle emploi et dans le domaine de la santé, avec la culture du résultat, du chiffre : Nicolas Sarkozy a voulu créer de l’émulation dans les services publics, chez les fonctionnaires, en les évaluant sur leurs résultats comme on le fait dans une entreprise privée. Si l’intention est louable, de vouloir optimiser les résultats, la manière de le faire peut conduire au résultat opposé :

o       Les policiers, jugés sur l’efficacité de leur action par le décompte des plaintes (une baisse signifiant une réduction de la criminalité), refusent des dépôts de plainte ou préfèrent enregistrer des « mains courantes » qui ne conduisent pas à une enquête. Un policier peut hésiter à s’occuper d’une atteinte physique à la personne car l’objectif est de baisser le chiffre de ce type d’intervention ! De même que la hausse des gardes à vue souvent non justifiées est motivée encore par le chiffre, …

o       La concurrence entre les hôpitaux et la course à la rentabilité conduit à une concentration des établissements, donc à un problème de maillage du territoire accélérant la désertification des campagne et les déséquilibres sur le territoire, de même que l’évolution des facturations de service à la tâche, aux nombre d’actes, ou la limitation des ordonnances, la politique des quotas, peut en final nuire à la qualité des soins.

o       L’accroissement du nombre de suicides chez France Telecom est aussi une conséquence de la mise en place de cette politique du chiffre appliquée à un service public,

o       Dans certains cas cette politique a conduit à changer le thermomètre, jouer sur les statistiques, pour modifier le chiffre servant à l’évaluation (mesure du nombre de chômeurs,

         Dans l’organisation du monde et la politique internationale : la concurrence mondiale pour les ressources terrestres en voie de raréfaction, pour le pétrole, les matières premières, l’eau et même les terres agricoles, peut conduire les pays à se faire la guerre pour s’accaparer ces ressources. Au lieu de s’entendre ensemble, de s’organiser pour contenir le réchauffement climatique, pour partager les ressources et veiller à ce que leur consommation n’excède pas leur renouvellement, pour réguler la démographie afin qu’elle soit soutenable, de partager l’innovation technologique pour en faire bénéficier les autres, les nations ont tendance à faire cavalier seul, certaines ne veulent pas coopérer (comme les Etats-Unis et la Chine pour signer les accords de Kyoto). La politique de la loi du plus fort n’optimise pas l’intérêt général et compromet à présent la survie même de la planète. Elle favorise les guerres, rend la paix impossible. La création d’organisations internationales comme les ONG, l’ONU, la banque mondiale, le FMI, a permis de mettre en place des cadres coopératifs mais avec de nombreux défauts, à la fois de légitimité démocratique, de moyens d’actions insuffisants, et d’absence de coordination globale pour une gouvernance mondiale plus cohérente. L’Union européenne est aussi un bon exemple d’approche au départ coopérative, de mise en commun de moyens, de normes, mais s’essouffle parce qu’elle est essentiellement bâtie sur l’économie et ses règles de concurrence du marché, parce que les nations qui la compose n’ont pas elles-mêmes naturellement cette approche coopérative, se trouvent en conflit ou en concurrence, ne jouent pas la solidarité.

         Dans le domaine politique : le fonctionnement de la démocratie repose sur une juste représentation des courants d’opinion au travers de partis politiques, sur le choix par les citoyens du président de la république ainsi que de leurs élus représentant ces courants ou ces partis, sur la délégation à ces élus parlementaires de votes des lois au Parlement et du contrôle de l’exécutif. Cependant, la prédominance de scrutins majoritaires, notamment pour les élections législatives en France, fait que celui qui a recueilli le plus de voix l’emporte par circonscription, même s’il représente un pourcentage d’électeurs faible. Il oblige aux ralliements de second tour, favorise la bipolarité sur les deux partis dominants, la concurrence entre la droite et la gauche au détriment d’un centre qui pourrait être plus équilibré et sans doute plus propice à une synthèse de la satisfaction générale. Une fois au pouvoir, le parti qui l’emporte a tendance à imposer sa loi, même si au final plus de 50% des électeurs n’ont pas été satisfaits. Rien ne l’oblige à coopérer avec l’opposition sur des sujets. L’opposition de son côté, se sent souvent obligée de dénigrer systématiquement l’action du gouvernement en place pour rester dans son statut d’opposition. Cela peut même conduire à des blocages institutionnels. Par exemple sur le dossier des retraites, il serait bon que chacun y mette du sien, d’un côté le gouvernement pour tenir compte des critiques de l’opposition, par exemple sur le traitement de la pénibilité et sur la recherche de nouvelles ressources que propose le PS ou encore sur le refus par François Bayrou et le MoDem de retarder de 65 à 67 ans l’âge auquel on peut valoriser ses droits à la retraite sans pénalité. De même que l’opposition ne devrait pas bloquer complètement une réforme vitale, nécessaire, au risque sinon de compromettre le système de nos retraites par répartition et d’aggraver le déficit public déjà abyssal. En politique, il faut aussi apprendre à coopérer plutôt que se faire systématiquement concurrence.

 

Cette approche coopérative est de plus en plus mise en valeur comme une alternative à l’approche compétitive. En témoignent le succès des AMAP (coopératives mettant en relation les consommateurs et les producteurs), des logiciels libres et des wiki collaboratifs, où un ensemble d’individus mettent en commun gratuitement leurs savoirs au bénéfice de tous, dont ils profitent aussi en retour. Dans la recherche, une transparence et un partage des travaux de chercheurs au travers le monde, grâce à Internet, permet aussi de plus grandes avancées que lorsque chacun joue séparément et même en concurrence, occasionne moins de coût que des investissements parallèles et concurrents dont un seul sera rentabilisé finalement, celui qui gagne en final.

 

L’approche coopérative n’est pas seulement une nouvelle manière de travailler, de s’organiser. Elle suppose aussi de se fixer un objectif basé réellement sur l’intérêt général, sur un niveau de service, sur des critères de satisfaction, de qualité, de préservation de valeurs, plutôt que sur l’unique critère du profit même contraint par des exigences de normes, par des garde-fous exercés de manière coercitive. Une mutuelle ou une coopérative a pour objectif la satisfaction de ses usagers au meilleur coût et non la maximisation du profit à niveau minimum de service. Il s’agit d’inverser l’objectif et les contraintes, donc bien d’un changement de modèle.

 

Une organisation privilégiant la coopération peut être une alternative au capitalisme, notamment au capitalisme financier, mais aussi une alternative au socialisme centré sur l’Etat, en responsabilisant mieux les citoyens. L’Etat ne peut s’occuper de tout. Il conduit même les citoyens à attendre tout de l’Etat, à s’isoler et à moins s’impliquer, voire à faire moins d’effort, par exemple à être moins solidaire vis-à-vis de son prochain puisque l’Etat est là pour le prendre en charge. Plutôt que nationaliser les banques suite à la crise financière, comme le préconisent certains comme Frédéric Lordon, pourquoi ne pas favoriser les structures mutualistes bancaires, qui d’ailleurs existent déjà en France tout en veillant à une suppression des activités spéculatives, à une séparation des banques d’affaires et des banques de dépôts ou banques commerciales ?

 

Cette approche n’est d’ailleurs pas antinomique à l’approche compétitive, car on peut voir des structures coopératives être elles-mêmes en concurrence pour un meilleur service (pas nécessairement pour le profit d’ailleurs). Elle répond aussi à une régulation préventive plutôt que corrective : la spéculation n’a plus cours et les gains de productivité ou en qualité bénéficient à tous. C’est plus sain que laisser faire la spéculation et l’accumulation des profits en capital au bénéfice des plus riches, que l’on cherchera ensuite à taxer plus pour opérer une correction redistributive.

 

La société coopérative est fondée sur la confiance en l’autre et sur la motivation de solidarité, d’aider l’autre, non de le dominer. Elle suppose une conscience et une responsabilité citoyenne, s’appuie sur un autre comportement. Mais pour que cela fonctionne, il faut non seulement que les organisations humaines, les entreprises, les organisations internationales, les nations, les partis politiques, privilégient la coopération selon cette logique, ce qu’on pourrait imposer aux structures, il faut aussi que les individus qui composent ces structures, à la fois en tant qu’usagers ou consommateurs, en tant que salariés et en tant qu’actionnaires/propriétaires, soient eux-mêmes motivés. Un usager est motivé par le meilleur service au meilleur coût, un actionnaire est motivé par la rentabilité de son placement et l’envie de soutenir l’entreprise, un salarié est motivé par son salaire mais aussi par la fierté de travailler dans une entreprise utile, respectant des valeurs et une certaine éthique, se conduisant correctement. L’approche coopérative revient à faire converger ces intérêts. L’usager est en même temps actionnaire. Le salarié peut l’être aussi.

 

La société coopérative est une société humaniste. Elle est la clé de voûte d’une approche idéologique que l’on peut appeler l’humanisme, en alternative au capitalisme et au socialisme.

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Villepin ou Bayrou ?

Dominique de Villepin vient de s’exprimer aujourd’hui sur une tribune offerte par Mediapart, dans un texte intitulé «Répondre à l’appel de la France». Je trouve très salutaire pour le pays que se forme, à l’initiative de Dominique de Villepin, un courant républicain à droite issu de l’UMP qui s’oppose à Nicolas Sarkozy, en tout cas aux dérives de sa présidence, intolérables, inadmissibles, insupportables, tant en termes de justice sociale, de démocratie, de valeurs morales.

Et après tout, une division de la droite donne moins de chance à Sarkozy pour le 1er tour en 2012, mais ce dernier pourra-t-il encore, osera-t-il encore, se présenter d’ici là ?

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J’approuve son appel à un rassemblement républicain d’union nationale, comme l’a déjà fait François Bayrou, allant des Gaullistes républicains avec Villepin à la partie du PS plus proche du centre, ouverte au dialogue, en passant par le Mouvement Démocrate, en incitant aussi le Nouveau Centre à couper le cordon qui le lie à l’UMP.

DDV reprend beaucoup de points du discours de François Bayrou (déficit, démocratie, indépendance de la justice, valeurs républicaines, justice sociale, position sur les retraites …). Je suis néanmoins étonnée qu’il prône plus de justice sociale sans parler de la remise en cause du bouclier fiscal. C’est sans doute parce qu’il l’a lui-même mis en place sous la présidence Chirac (à 60%) avant que Sarkozy baisse le seuil à 50% ?

J ‘aimerais beaucoup qu’il nous explique les éventuels points de désaccord avec François Bayrou, ce serait plus clair pour nous citoyens. Je constate en tout cas que, même s’il n’est jamais trop tard pour bien faire, pendant qu’il était au pouvoir D. de Villepin a laissé filer le déficit, il a mis en place le bouclier fiscal, il n’a pas valorisé suffisamment les petites retraites, il n’a pas proposé à l’époque de plus taxer le capital et en général de rendre la fiscalité plus juste, il n’a pas rendu la justice vraiment indépendante, il n’a pas proposé une loi électorale juste (introduction de 50% de proportionnelle à l’Assemblée comme en Allemagne par exemple), il n’a pas franchement soutenu les PME et l’innovation …S’ils sont maintenant d’accord sur le fond, sur les idées, en tout cas sur l’essentiel, ils devraient se mettre ensemble et il ne resterait qu’à départager deux personnalités en vue de la présidentielle …

Concernant l’homme lui-même, qui a du panache, de l’élégance, de la classe, du verbe, de la culture, de vraies valeurs républicaines et un certain sens du sacrifice pour la France qui sied à l’homme d’Etat, plusieurs choses lui manquent néanmoins à mon avis :

1- la simplicité, l’authenticité, la proximité du peuple, des gens « d’en bas » (je déteste ce terme !). Bayrou a été vraiment paysan, est issu d’une famille très modeste (et néanmoins très cultivée, son père récitait Virgile en latin en revenant des champs sur son tracteur, bibliothèque truffée de vieux bouquins depuis plusieurs générations …). Mélenchon a aussi cette chaleur humaine, ce contact, cet amour des gens que je ne sens pas deVillepin qui reste un aristocrate, un représentant de l’élite intellectuelle du sérail de l’ENA, de la grande bourgeoisie, pas celle arriviste du bling-bling et de l’argent, mais celle d’une classe dominante qui reste entre-soi ;

2- le sourire et la chaleur humaine. Quand il arbore un sourire, il est crispé et l’oeil reste glacial. On dirait un aigle. Certes un bel aigle royal (sans jeu de mot sur Ségolène), mais bien celui d’un oiseau de proie. Il manque de chaleur humaine et paraît assez hautain. Moi, je ressens un être et en particulier un homme au regard et à la voix. Regardez-le bien dans les yeux quand il parle, observez la cohérence entre le regard, le sourire et les mots. Puis fermez les yeux et oubliez le fond, le sens des paroles. Ecoutez la musique des mots, le timbre, le souffle, la vibration. Ils révèlent souvent une personne. Par exemple, ce bégaiement sous contrôle de François Bayrou, détecté par de petites traces, ponctué parfois de « heu », me plait beaucoup. Il tempère le rythme de la parole en révélant une force psychique qui force le respect tout en dévoilant une petite faiblesse qui l’empêche d’être prétentieux. C’est une faiblesse apparente qui donne du charme et une force intérieure ;

3- la confrontation aux urnes, la reconnaissance des électeurs. Villepin n’a JAMAIS été élu, ni au niveau local, ni territorial ni national. Nommé conseiller, puis secrétaire général de l’Elysée, Ministre, mais jamais élu. Ce n’est pas obligatoire pour se présenter à la présidentielle, mais bon …

4- le travail en équipe, les amis. Je l’ai toujours vu seul. Même si des gens le soutiennent parmi les députés UMP et bien qu’il ait des fans, je ne l’ai jamais vu « travailler vraiment en équipe », soutenir des amis politiques en campagne (à part Chirac). J’ai entendu François Bayrou appeler aussi au rassemblement et citer nommément Villepin, de même que Peillon, Valls, DSK pour appeler à travailler ensemble. Villepin aussi souhaite un rassemblement et il ressort dans son discours une partie du discours de François Bayrou, mais alors pourquoi ne le rejoint-il pas directement ? Pourquoi n’appelle-t-il pas clairement le Nouveau Centre dans ce rassemblement ? Peut-il nous expliquer ce qui le différencie de François Bayrou pour qu’on puisse y voir plus clair ?

5- l’humour. Certes ce n’est pas indispensable, mais il se prend un peu trop au sérieux. Il n’est pas drôle. Sa grandiloquence est un peu agaçante. Qu’il prenne exemple sur Obama, qui sait être élégant, sérieux et aussi avoir la pointe d’humour qui détend et permet de prendre du recul !

Bon, j’espère que si Dominique de Villepin lit mon billet, il ne sera pas vexé ni peiné de mes critiques et en prendra « de la graine » …

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