Plaidoyer pour une monnaie mondiale

Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale de Chine, a fait un plaidoyer pour une monnaie de référence mondiale, quelques jours avant le G20. Voici son Texte, dont vous trouverez une traduction ici.  Ce texte est excellent, son argumentaire convaincant et tourné vers l’intérêt général pour un monde plus équilibré, en aucun cas anti-américain. Les solutions qu’il propose raisonnables et réalistes. <--break->Il paraît inconcevable que le G20 n’ait même pas abordé le sujet. 

Il n’existe pas aujourd’hui de monnaie mondiale. Dans le contexte de la mondialisation, les pays continuent de s’échanger des services et des marchandises en monnaie d’un pays, qui peut être celui du vendeur, de l’acheteur ou d’un pays tiers. Le dollar constitue l’essentiel des réserves mondiales de devises depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Le FMI estime que sur les 6 900 milliards de dollars (5 000 milliards d’euros) que valent les réserves de devises stockées dans le monde, les deux tiers le sont en billets verts. L’euro, qui vient en deuxième position, représente tout juste un quart du montant.

 Le dollar est ainsi devenu par défaut la monnaie mondiale de référence, par exemple pour les statistiques mondiales de la banque mondiale, de l’ONU et du FMI. Egalement pour les échanges internationaux : pétrole, matières premières, aviation,… 

Or la stabilité et la valeur de cette monnaie dépend de la politique monétaire et budgétaire d’un pays de la planète : les Etats-Unis. Ces derniers ont pris l’habitude de vivre à crédit, faisant financer leur dette publique, dépassant à présent 10 000 milliards de dollars, en partie par des investisseurs privés américains et internationaux, en partie par des Etats étrangers, dont notamment la Chine pour environ 700 milliards (soit 35% de ses réserves de change qui s’élèvent à 2000 milliards de dollar).

 Ainsi les pays et clients créanciers qui ont reçus des dollars et les placent en actifs libellés en dollar sont soumis à une dépendance envers la politique d’un pays risquent de voir leur placement déprécié si le cours du dollar baisse (l’inverse étant également vrai, l’appréciation de la monnaie ayant d’autres inconvénients, notamment pour les pays exportateurs dont les produits coûtent plus chers pour les importateurs). C’est ce qui s’est passé en 2008 (variation du cours de l’euro contre dollar entre 1,30 et 1,60) et risque encore d’arriver en 2009 compte tenu de l’ampleur des plans de relance annoncés (800 milliards de dollar, 5,5% du PIB), encore financés par du déficit public qui s’élèverait à 10% du PIB. Cette baisse du dollar réduit de fait le coût de remboursement de la dette au bénéfice des Etats-Unis. Les acteurs privés peuvent recourir à des instruments de couverture de change, les marchés à terme. Pour les banques centrales, c’est plus difficile, les masses monétaires étant énormes (les opérations de couverture sur de gros montants feraient décaler les cours en leur défaveur, annihilant l’intérêt de la couverture). De même pour des entreprises comme EADS (Airbus), qui facture majoritairement ses clients en dollar et a des coûts de fabrication essentiellement en euro, sur des montants très importants, le risque de change est majeur. 

POURQUOI UNE MONNAIE MONDIALE ?

 Afin de neutraliser les effets, à la hausse ou à la baisse, des fluctuations de change d’une monnaie, sur les réserves des banques centrales ou les avoirs des entreprises intervenant sur les marchés internationaux, une monnaie mondiale de référence apporterait de nombreux avantages. Faut-il encore dire de quoi on parle :

         monnaie de réserve banque centrale uniquement ou utilisée pour les échanges commerciaux ?

         unité de compte simplement  ou monnaie banque centrale avec possibilité d’émission et d’injection de liquidité ?

         si unité de compte, sous forme de panier basé sur des parité fixes comme l’avait fait l’accord de Bretton Woods dans la suite de l’étalon-or, ou bien sous forme de panier à parités flottantes, comme le fut l’ECU, précurseur de l’Euro ?

         monnaie fiduciaire pour une utilisation par les populations (pièces et billet) ?  

Scénario 1-Monnaie de réserve pour les banques centrales 

Fonctionnement actuel des DTS :

Les DTS (droits de tirage spéciaux) sont déjà un instrument monétaire international, créé par le FMI en 1969  pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Les DTS sont alloués aux pays membres proportionnellement à leur quote-part au FMI. Le DTS sert aussi d’unité de compte au FMI et à certains autres organismes internationaux. Le DTS est aussi utilisé pour la dénomination de certains instruments financiers privés internationaux.

Le DTS est déterminé à partir d’un panier de monnaies majeures largement utilisées pour le commerce international et les marchés financiers. Pour le moment, ce panier est constitué du dollar US, de l’euro, du yen et de la livre sterling. Les quotités de chaque monnaie constituant un DTS sont déterminées en fonction de leur importance relative dans les échanges commerciaux internationaux et les transactions financières. La détermination des devises composantes est revue par le bureau exécutif du FMI tous les 5 ans.

En octobre 2005, le panier de devises composant un DTS contient :

  • 0,5770 USD ;
  • 0,4260 EUR ;
  • 21,000 JPY ;
  • 0,0984 GBP.

Extension envisageable des DTS :
Pour répondre au besoin de placement de banques centrales sur des masses importantes, l’encours des DTS devrait être augmenté, ce qui est possible par emprunt du FMI (envisagé lors du G20 dernier le 1er avril 2009) et une liquidité devrait être assurée. Pour ce faire, nous émettons l’idée de permettre l’échange par les banques centrales de bons du trésor ou d’obligations d’Etat en devise contre DTS auprès du FMI. Le FMI pourrait racheter des avoirs  en devises aux banques centrales contre émission de DTS. Le FMI serait la banque des banques centrales et pourrait gérer une sorte de fonds commun de placement d’actifs composés de bons du trésor et d’obligations d’Etat en devises revendus au FMI contre DTS, les DTS pouvant représenter des parts de ce fonds. la composition du fonds étant représentative des devises correspondant aux échanges internationaux.
Il faudrait aussi que la monnaie chinoise soit convertible et fasse partie du panier de devises composant le DTS.

L’inconvénient étant qu’on ne peut rien faire au FMI sans l’accord des Etats-Unis. Ces derniers sont très réticents à cette idée car ont peur de ne plus pouvoir emprunter à leur guise et à tout le moins de voir le coût de leur dette augmenter. Mais si de nombreux pays sont demandeurs, quels arguments pourront-ils opposer ?

 Scénario 2 : Monnaie mondiale de référence non seulement banque centrale mais aussi utilisée pour les échanges internationaux, par les Etats, les banques et les entreprises.

Il peut y avoir un réel intérêt de devise mondiale, d’unité de compte, pour les échanges commerciaux, notamment sur les matières premières, le pétrole, les métaux, les matières agricoles, afin de les rendre également moins sujets aux fluctuations des monnaies. Même s’il s’agit d’une unité de compte et non d’une monnaie émise par une banque centrale. Une expérience de ce type a déjà existé avec l’ECU dans le cadre du système monétaire européen, avant l’avènement de l’euro.

Le 15 mars 1985,  après des années de tergiversations depuis le sommet de Brême du 6 juillet 1978 auquel avait été proposée la création de l’ECU, les gouverneurs des banques centrales ont signé un accord dans le but d’inciter l’utilisation officielle de l’ECU à la place du dollar américain comme instrument de réserve et dans leurs interventions sur le marché des changes lorsqu’il leur faut assurer la stabilité des cours des monnaies européennes.

Les contrats financiers et même les transactions commerciales pouvaient être exprimées en ECU et les banques ouvrir des comptes en ECU, correspondant à un panier de monnaies. Les banques et entreprises et les Etats ont émis des obligations en ECU. Voir le décret l’autorisant en France. en 1990.

Une plate-forme de clearing de l’ECU a été mise en place, l’ABE, l’Association Bancaire pour l’ECU, qui a continué ensuite à opérer le clearing en euro (Association Bancaire pour l’Euro) lorsque l’ECU est devenu de fait l’Euro. Cette expérience pourrait facilement être reproduite dans un contexte de monnaie mondiale, sur le même principe.

 Avantages de ce scénario 2:

–  il s’applique à l’économie réelle, notamment les échanges internationaux sur les matières premières, bien au delà des réserves banques centrales,

– la monnaie de référence mondiale pourrait être utilisée par des banques centrales qui seraient d’accord pour le faire, même sans consentement des Etats-Unis. Comme les banques centrales européennes l’avaient fait pour l’ECU sans qu’existe encore la BCE. Les dollars pourraient faire partie de la composition du panier de l’unité même si les Etats-Unis ne l’utilisent pas comme monnaie de réserve et l’évitent pour leurs propres échanges internationaux (quoique leurs partenaires, par exemple les pays de l’OPEP, leur imposeront peut-être …).

– il n’est pas incompatible avec le scénario 1 et pourrait le précéder. Quand les Etats-Unis seront d’accord, le FMI pourrait, à l’instar de la BCE pour l’Euro, jouer le rôle d’une banque centrale mondiale des banques centrales sur cette monnaie mondiale, qui existe déjà avec les DTS, de manière plus généralisée.

– il a une forte portée symbolique : le dollar, utilisé comme monnaie de référence dans le monde, marque la domination des Etats-Unis sur le Monde. L’utilisation d’une monnaie mondiale représentative des échanges du monde marquerait la fin symbolique de ce règne de domination et le passage à un monde multipolaire plus stable, plus équilibré.

  Les partisans d’une monnaie mondiale : 

– la Chine : Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la banque centrale de Chine, vient de proposer, juste avant le G20 à tous les pays une alternative à la suprématie monétaire du dollar sur la planète, en recommandant  d’adopter une nouvelle devise de réserve sous l’égide du Fonds monétaire international (FMI). Voici l’excellent texte qu’il a prononcé à cette occasion.

Le Japon, la Russie et le FMI prennent très au sérieux la proposition chinoise.

– Frank Biancheri, directeur des études du Laboratoire européen d’anticipation politique (LEAP/E2020), a fait publier en ce sens une lettre ouverte aux dirigeants du G20 dans le Financial Times mardi 24 mars 2009, également avant la tenue du G20. 

– François Bayrou a également soutenu cette idée avant la tenue du G20 lors de la convention thématique sur la crise tenue le dimanche 29 mars par le Mouvement Démocrate.

  L’idée n’est pas totalement nouvelle, puisque l’économiste John Maynard Keynes l’avait déjà exposée en 1944 lors de la Conférence de Bretton Woods. Elle avait aussi déjà été formulée par le milliardaire américain George Soros dès 2002. Les idées de Joseph Stiglitz, Prix Nobel et président d’une commission de l’ONU pour la réforme de l’architecture monétaire et financière internationale, vont dans la même direction. Jacques Attali prône aussi la monnaie mondiale, ainsi que le sociologue anthropologue Paul Jorion.

 Mais elle n’est pas du goût de Washington, qui voit en cette proposition un risque d’affaiblissement du dollar et d’une remise en cause du recours au financement illimité de ses dettes. Pourtant, si les Etats-Unis émettait leur dette libellée dans la devise mondiale, en quoi cela diminuerait-il leur capacité de financement ? Cela renchérirait tout eu plus leur dette en cas de baisse continue du dollar. On remarquera que le point n’a aucunement été évoqué dans le communiqué du G20 sur les décisions prises conjointement par les Etats.

 

  Références: 

 http://www.lemonde.fr/la-crise-financiere/article/2009/03/25/le-dollar-doit-il-rester-la-monnaie-de-reference_1172388_1101386.html

http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20090324trib000358743/pekin-veut-une-autre-monnaie-que-le-dollar-pour-le-commerce-mondial.html

http://www.pbc.gov.cn/english//detail.asp?col=6500&ID=182

http://conseiller.ca/actualites/today/article.jsp?content=20090325_094511_6992

http://www.leap2020.eu/Sommet-du-G20-de-Londres-la-derniere-chance-avant-la-dislocation-geopolitique-mondiale_a3009.html 

http://www.lejdd.fr/cmc/economie/200914/une-seule-monnaie-pour-tous_198411.html

http://www.tdg.ch/actu/economie/abandonner-dollar-reference-universelle-2009-04-01

http://www.mouvementdemocrate.fr/actualites/bayrou-reaction-G20-monnaie-030409.html

 

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