Un livre pour comprendre: « Les Chrétiens d’Orient.Vitalité, Souffrances, Avenir« , par Jean-Michel Cadiot. Editions Salvator (22,5 euros).
Jean-Michel Cadiot, un ami journaliste à l’AFP et écrivain, vient de publier son dernier livre, une enquête très fouillée sur les Chrétiens d’Orient depuis la création de l’église, depuis Jésus Christ. Il connaît ces communautés car il a vécu de longues années au Proche Orient, en Iran et en Irak. Il relate l’histoire mais évoque aussi l’actualité de ces chrétiens.
Invité à commenter la triste et sanglante actualité (massacre des Chrétien à Bagdad, persécution de coptes,…) qui coïncide (curieusement et involontairement) avec la parution de son livre, Jean-Michel Cadiot s’exprime sur de nombreuses chaînes de radio et de télévision, vous pouvez l’écouter par exemple sur LCI, interviewé aujourd’hui par Vincent Hervouêt.
Qu’ils souffrent les chrétiens d’Orient! Certes, la vie est dure dans toute la région. Tous les Irakiens vivent menacés. Mais les Chrétiens, sans milices, sans protection, le sont plus que les autres. Pendant ce mois de novembre qui s’achève, la presse en a fait ses gros titres. Les Chrétiens d’Orient, si méconnus, ignorés, ont fait parler d’eux tristement avec le massacre perpétré par al-Qaïda dans la cathédrale syro-catholique de Bagdad, le 31 octobre 2010, en pleine messe. Plus de 50 morts, dont 46 chrétiens. Parmi eux, deux jeunes prêtres qui ont tenté de s’interposer et que beaucoup déjà, veulent faire canoniser. Le troisième, le père Raphaël, 73 ans, se rétablit à Paris, avec d’autres blessés. Un beau geste de la France.
Quelques jours après, ce sont en Egypte, des Coptes qui sont victimes d’exactions car la construction d’une église leur est refusée. Mais qui sont-ils ces Chrétiens d’Orient?
Jean-Michel Cadiot, nous retrace avec minutie mais de façon très accessible, depuis les tout premiers temps du christianisme, -Abraham, Moïse, Marie, Jésus et ses disciples étaient tous des orientaux, tout comme les premiers « Pères de l’Eglise, l’épopée de ces femmes et de ces hommes.
Il y a dix siècles, ces Chrétiens étaient beaucoup plus nombreux que les catholiques romains. Aujourd’hui, c’est une petite minorité, attachée à ses rites, ses liturgies, ses langues. Et pourtant très moderne. Bien avant les Jésuites, ils évangélisèrent l’Inde et la Chine, et jouèrent un rôle immense bien que souvent persécutés, au sein de l’empire romain, sous les califats arabes, -comme médecins, mathématiciens, malgré leur statut de « dhimmis », protégés, mais privés de certains droits, notamment celui de convertir- les Mamelouks, l’empire ottoman ou l’empire perse.
Une assimilation aberrante avec l’Occident
Le livre montre l’inanité et l’injustice qu’il y a à assimiler le christianisme à une religion « occidentale ». Jésus, tous ses disciples, étaient des juifs, parlant l’araméen. Des orientaux. Ou à considérer les Chrétiens d’Orient comme, fatalement des « alliés » de l’Occident, alors qu’ils furent pour la plupart opposés aux Croisades du Moyen-Age et qu’ils souffrent tragiquement des conflits -en Palestine, en Irak- qui touchent leur peuple. Ils ont toujours été loyaux, patriotes.
Si les livres sur cette communauté font florès, celui-ci nous propose une approche religieuse -on sent que l’auteur est chrétien, mais lucide sur toutes les fautes de Rome- et géo-politique inédites. Il examine, dans chacun des grands « patriarcats » -Constantinople, la « nouvelle Rome » fondée par Constantin, l’empereur qui libéra en 313, les chrétiens de tout l’empire des persécutions, Antioche, Jérusalem et Alexandrie, mais aussi en Arménie et en Perse- comment les Chrétiens imitèrent saint Paul. Celui qui fut renversé « sur le chemin de Damas » expliquait le « Dieu inconnu » aux Athéniens de l’Aréopage. Les Orientaux firent de même avec les mazdéens (perses), païens et polythéistes. Cadiot nous montre comment les cultes de Mithra -né d’une mère vierge, dans une grotte- en Perse et à Rome, d’Osiris -mort et ressuscité- en Egypte en particulier ont été « mis à profit » par les Chrétiens pour faire admettre monothéisme et christianisme.
Le livre, qui fourmille d’anecdotes pas toujours tendres pour la « catholicité » romaine, -rien n’est épargné aux Tusculi et aux Borgia!- et dévoile des aberrations apprises au catéchisme par beaucoup d’entre nous. Non, Jean-Baptiste ne mangeait pas des sauterelles, mais des carottes. Le traducteur grec aura mal choisi la traduction du mot araméen « kamsa » -qui a les deux sens. Des Araméens qui y voient une preuve supplémentaire de ce que l’Evangile a été écrite dans leur langue, une langue qu’ils continuent de parler quotidiennement. A Bagdad. Ou à Sarcelles ou Chicago, pour les exilés…..
Jean-Michel Cadiot nous montre les travaux, les recherches, les batailles acharnées d’Irénée de Lyon, d’Origène, Nestorius, Cyrille, Athanase, Augustin, -un Berbère africain longtemps adepte d’une autre religion née en Orient, le manichéisme-, Ephrem, Maxime-le-Confesseur et tant d’autres, qui, de la Pentecôte au Concile de Nicée (en 325) et Constantinople (381), et jusqu’au IX siècle, se sont entendus pour combattre les « hérésies », surtout l’arianisme qui relègue Jésus au second plan. Et définir cette spécificité chrétienne: un Dieu en trois personnes. Les « Pères » se déchirèrent à Ephèse (431) -avec le départ de l’Eglise de l’Orient, nestorienne, née dans l’empire perse, refusant de voir en Marie la « mère de Dieu »- puis Chalcédoine (451) où Coptes, Arméniens, et « syriens-occidentaux’, accusés de monophysisme ont alors tour pris leur envol.
Mais nous découvrons combien ces querelles sont plus sémantiques, puisque beaucoup ne comprenaient pas le grec, ou politiques, avec les rivalités entre Constantinople, Antioche et Alexandrie, sans compter que les Nestoriens, perses, marquaient ainsi leur indépendance vis-à-vis de Constantinople, que théologiques Depuis Vatican II, avec Paul VI puis Jean-Paul II, tous ces conflits ont été gommés.
Autre rupture, dramatique. Celle entre catholiques et orthodoxes en 1054. L’auteur nous montre l’attitude implacable du légat du pape Hubert de Moyenmoutier, qui excommunia le patriarche Cérulaire. Le pape Léon X était mort. Et il s’interroge sur la validité de cette rupture.
Puis, quatre siècles, après que les musulmans ont conquis l’Arabie, l’Irak, la Palestine, la Syrie et l’Egypte, mais aussi l’Espagne- ce sont les Croisades. L’empire l’empire byzantin est menacé par les Turcs, musulmans. Ces Croisades sont horribles, visant d’abord les Juifs sur leur passage.
Cela dura de 1096 à 1291. Bernard de Clairvaux, François d’Assise, Louis IX « sauvèrent », par leur pacifisme l’honneur de l’Eglise, souligne Cadiot.
Le 13 avril 1204, il y avait eu le siège de Constantinople, la guerre des catholiques contre les orthodoxes. Le pape condamna, timidement. C’est comme les massacres des Cathares, les papes furent souvent bien tièdes pour condamner les exactions catholiques.
Un rôle immense dans le « réveil arabe »
Mais, si les réconciliations, tentées à deux reprises (à Lyon en 1274, et Florence, 1439) ont échoué, des missionnaires, surtout Dominicains et Franciscains s’installèrent durablement, la France étant désignée « protectrice des Chrétiens » par l’empire ottoman en 1436, sous François 1er. Peu à peu Rome fit revenir une partie des Chrétiens d’Orient dans son giron. Il se créa des Eglises chaldéenne (héritiers catholiques de l’Eglise de l’Orient, ayant abjuré le nestorianisme), des Syro-catholiques, des Coptes catholiques, des Arméniens catholiques. Quant aux Maronites, principaux créateurs du Liban, ils ont toujours été catholiques…
Jean-Michel Cadiot, en journaliste de l’AFP attaché à la fiabilité et au recoupement des sources et aux enquêtes approfondies se livre à un exercice plus qu’ambitieux: un tableau chiffré, Eglise par Eglise, et pays par pays des Chrétiens d’Orient, intégrant les informations sérieuses émanant des Eglises ou des gouvernements, ou encore des spécialistes; rejetant la grande majorité, totalement fantaisistes. Il arrive à un chiffre de 105 millions -dont, il est vrai 45 millions d’Ethiopiens, issus de l’Eglise copte- et dont 20 millions dans la diaspora, une diaspora vivante, porteuse d’avenir et non éteinte. Outre l’Irak, qui craint un exode, et l’Iran -moins de 200.000 chrétiens-, Jean-Michel Cadiot insiste sur les deux grands drames du 20è siècle: le génocide arménien -1,5 à 2 millions de morts, qui toucha tous les Chrétiens de Turquie. Depuis ce pays qui comptait 25% de chrétiens n’en a plus que 150.000 environ. Et le conflit israélo-arabe: dans l’ancienne Palestine, il y avait 25% de Chrétiens. Aujourd’hui environ 2%. Seulement 10.000 Chrétiens à Jérusalem-est et 30.000 à Bethléem. Mais 200 à 300.000 Chrétiens israéliens, conjoints de juifs immigrés de l’ex-URSS ou d’Europe de l’est. Soit plus que de Chrétiens arabes de nationalité israélienne, encore nombreux à Nazareth…Mais: un million de Melkites (catholiques de rite grec) palestiniens dans les deux Amériques.
Espoir et solidarité, un « pont » pour l’avenir
Jean-Michel Cadiot écarte avec sérénité et conviction la disparition annoncée des Chrétiens d’Orient, qui vivent dans des conditions très différentes selon les pays. Il rejette le catastrophisme, mais appelle à la solidarité. Ils ont, dans toute leur tragique histoire, surmonté bien des épreuves. Des épreuves plus dures. Au Moyen-Orient, ils sont indispensables. C’est eux les « pionniers du réveil arabe », mais dans la main avec les Musulmans. La « nahda » au début du XXè siècle, avec notamment le Maronite Néguib Azouri, c’est surtout eux. Presque tous les partis politiques arabes, les grandes maisons d’édition ont été fondés par des Chrétiens.
Une nouvelle forme d’islamisation, intégriste, violente, tente d’empêcher tout dialogue et progrès, de relancer la « guerre des religions ». Bush et sa guerre y ont bien aidé, relève Jean-Michel Cadiot.
Pour lui, la survie, l’épanouissement des Chrétiens d’Orient, qui peuvent être un « pont » entre deux mondes qui se déchirent, sont un des grands enjeux de ce siècle.
JEAN-MICHEL CADIOT est journaliste à l’AFP et écrivain, syndicaliste, président de l’Association pour la défense de l’indépendance de l’AFP (ADIAFP). Il a débuté à Témoignage Chrétien à 17 ans. A l’AFP, il a été correspondant à Bagdad pendant deux ans (1979 à 1981), également directeur du bureau de Téhéran à deux reprises (1991-1992, 1999-2002), en tout cinq ans, et de Bucarest (1995-1997). Membre de l’Institut Marc Sangnier, vice-président de l’Association d’entraide aux minorités d’Orient (AEMO).
Ses ouvrages précédents :
- Quand l’Irak entra en guerre (L’Harmattan, 1989).
- Mitterrand et les communistes (Ramsay, 1994)
- Francisque Gay et les démocrates d’inspiration chrétienne (Salvator, 2006)
J’ai ouvert mon blog à Jean-Michel l’an dernier, le 17 octobre 2009, pour publier sa chronique sur le millénaire de la destruction du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, événement historique qui avait marqué le début de la guerre des croisades.